Tout semble endormi sur cette terre d'une blancheur immaculée qu'est la toile. Cette blancheur qui n'est pas la lumière mais son absence pourrait découler d'une terre ensevelie sous la neige ou écrasée par la chaleur. Rien n'est encore fait. Le mouvement qui est preuve de vie n'a pas pu crever l'épaisse carapace du néant. On s'attend à un séisme, à une éruption volcanique mais rien de tout cela n'arrive. Les choses commencent à se concrétiser par bribes, émergeant de cette obscurité blanche aux rythmes d'une danse lente et chaotique. Une danse de lézard chaussé de bottes à talons haut. Le rire du danseur est carnassier. Que fait-il ? Il ne peint pas. Il installe le décor où le gibier est sensé venir habiter. Ce faisant, pernicieusement et sans que personne ne s'en aperçoive, il glisse à travers les dédales sombres du décor, le piège qui va se renfermer sur le gibier. On ne doit jamais parler de victime mais de gibier et ce gibier s'appelle lumière. C'est la seule nourriture comestible pour ce lézard en mercure dansant qu'est Mourad Harbaoui. Elle n'est pas dans les couleurs qui sont considérées comme source de lumière chez la majorité des peintres. Non, elle est dans les ténèbres. L'environnement tracé par Harbaoui ne reflète rien qu'un désert de sable volcanique où aucune créature ne semble pouvoir exister. Les silhouettes, formes, visages ou gestes décelés ça et là ne sont ni dans l'Instant, ni dans l'Espace adéquats. Ils n'ont aucune signification, aucun mobile, aucune utilité à part cacher le piège qui va se refermer sur le gibier quand, avançant à pas de loup, érigeant un pan de mur par ci, jetant un bout de filet par là, le lézard, fulgurant comme une tornade, se saisira de sa proie, lui tranchera la gorge d'un seul coup envoyant au ciel un terrible jet de sang… du sang qui n'est ni rouge ni bleu ni noir. Du sang qui a la consistance, la texture et la puissance de la lumière. Au début fût le verbe, nous dit-on. On pourrait y croire puisque le verbe, qui est vie, ne peut être que lumière. Par delà le genre, les impressions, les suggestions, les expressions, l'onirisme ou le réalisme effrité de l'œuvre de Harbaoui, cette quête de la lumière originelle nous semble primer sur tout. Elle n'est ni dans l'abstraction ni dans le figuratif mais dans le concret. La vue n'est elle pas la vie ? Ne voit-on bien qu'avec le cœur ? L'essentiel est invisible pour les yeux comme dirait le Petit Prince. Balivernes que tout cela ! Pour Harbaoui, on ne voit bien que grâce à la lumière et peu importe qu'on regarde avec les yeux, le cœur ou la plante des pieds. Hechmi GHACHEM (*) ainsi qu'au siège social de la BIAT.