C'est l'histoire d'un épicier installé dans le quartier de Lafayette depuis de longues années. Or depuis quelques mois, il se retrouve au fond d'un gouffre financier, endetté jusqu'au cou, harcelé par ses fournisseurs, les grossistes. La raison est évidente : cinq supermarchés se sont installés autour de sa boutique en quelques années… D'origine djerbienne et très croyant, il ne cessait, les premières semaines, de répéter que « Koll Wahed Yjih Qasmou » (Dieu donne sa part à chacun) et de continuer à travailler du matin au soir, sans répit. Mais les supermarchés ont commencé à l'étouffer imperceptiblement. Ses clients l'ont peu à peu abandonné et son chiffre d'affaires n'a cessé de se réduire au fil des jours. Pourtant il avait redoublé d'efforts, travaillant de sept heures du matin à neuf heures du soir, variant au maximum les produits et les marques. Mais sa clientèle s'est raréfiée, préférant le luxe des grands magasins et le choix de leurs rayons bien achalandés, bien garnis. Depuis, ils passent rapidement devant sa boutique, les bras encombrés de sachets pleins, portant les sigles des hypermarchés environnants. Et lorsqu'ils viennent dans sa boutique, c'est pour des achats d'appoint, aux prix fixes : pain, lait, pâtes… Avec plus de 150 supermarchés installés à travers le pays, souvent installés en centre ville ou sur de grands axes routiers. Ils concurrencent ainsi directement un très grand nombre de petits commerçants : épiciers, bouchers, marchands de fruits et légumes et autres boutiques d'électroménager, qui sont là depuis des années et qui vont se retrouver face à des géants qui ont des moyens importants, qui payent leurs achats en différé, qui achètent en très grandes quantités… Pour en revenir à mon épicier, son drame c'est qu'il souffre en silence, sans savoir à qui s'adresser, à qui se plaindre. Depuis quelques mois, il déprime et se noie dans un gros sentiment de culpabilité, car il a l'impression d'avoir fait un mauvais choix dans sa vie, de ruiner l'avenir de ses enfants.