Voilà enfin un recueil qui étonne et qui nous ramène à la belle époque de la nouvelle tunisienne du milieu du siècle dernier (années quarante et cinquante), tout en dévoilant un univers, qui nous met de plain-pied dans la réalité occultée d'un pan de notre jeunesse. Si le style reste classique et rigoureux, Sayed Twaï nous épate cependant, par quelques tournures remarquables. Au lieu de : «Je l'ai rencontré par une journée», il écrit «Je l'ai rencontré par une prison». Ce natif de Menzel Fersi, maîtrisard en langue et littérature arabes, puise les sujets de ses trente-sept nouvelles dans la vie et l'itinéraire des êtres qui l'entourent. Il a la pertinence de prendre les événements tels quels et de leur donner des ailes, pour les envoyer valser dans l'univers étrange de la poésie. Certaines nouvelles comme « Elle et Lui » qui raconte l'histoire d'une rencontre entre une jeune violoniste et un poète, ou « Elévation » qui parle d'une jeune étudiante qui se jette du premier étage, qui s'en remet et qui tente par mille ruses et provocations de ramener son Roméo à elle ; ou « Réaction », qui conte l'histoire d'un homme qui tue la femme qu'il aime parce qu'elle ne lui était pas totalement acquise et qu'elle tue à son tour, sont des pures merveilles, parce que l'action y est permanente et les coups de théâtre tonitruants. Et c'est peut-être par «Réaction» que Twaï atteint les hauteurs d'une poésie narrative qui nous rapprocherait inéluctablement de Ritsos : décor, personnage, mouvement et dialogue sont versés dans le même moule, formant un seul corps tout en gardant, chacun à sa manière, la vivacité et la puissance de sa propre individualité. Evidemment que quelques étapes descriptives, viennent alourdir de temps à autre le rythme narratif comme cela est très courant dans la nouvelle arabe. Mais cela est peut-être, dû à l'univers et au corps cadenassés des écrivains arabes eux-mêmes qui baigneraient plutôt dans les lagons paisibles de la contemplation que dans le fleuve déchaîné de l'action. Twaï est né en 1974. Il publiera bientôt un roman : «Deux mains pour un seul crime». Nous l'attendons de pied ferme et nous n'allons sûrement pas le rater. Il est bon ! Hechmi GHACHEM * Edition Dar Ifriquia-118 pages