Ibn Roch aujourd'hui, D'emblée le titre est significatif. Il est révélateur du contenu de la pièce conçue par trois hommes de théâtre: Ezzeddine Madani, l'auteur, Moncef Souissi le dramaturge et Mohammed Kouka le metteur en scène. Cette nouvelle création conçue pour la scène, a réuni de jeunes talents qui ont su tirer leur épingle du jeu, notamment, Yosra Kasbaoui, Kamel Belhaj Hammouda, Zohra Madani, Ibrahim Bahloul, Jalila Madani, Mohamed Salah Madani, Habib Jarmoud, Sana Jaffeli, Moez Azizi, Yousr Trabelsi, Mohamed Jriji, Yassine Abdelli et Moncef Ajnégui. L'auteur puise sa matière dans le quotidien et l'explore dans un style concis et percutant. Les thèmes abordés sont ceux de la tolérance, de la liberté religieuse, de l'acceptation de l'autre dans sa différence, de l'intégrisme et de la place de la femme dans la société. Loin d'être un spectacle sans saveur, c'est une rencontre heureuse du théâtre, de la musique et de la danse. Dans cette pièce, les mots s'entremêlent et rivalisent pour nous introduire dans cet univers d'Ibn Rochd. Il s'agit d'un spectacle qui se veut un diagnostic du monde vu par un penseur emblématique qui a su aller jusqu'au bout de ses idées, de son esprit critique, contre l'ordre établi, contre l'état d'esprit de son époque…, au prix de sa liberté physique.. L'histoire d'Ibn Rochd est ici un prétexte. Ce grand intellectuel andalou, est un symbole indéniable de l'esprit d'ouverture, du savoir, de la foi tranquille et du courage. Pour le monde arabo-musulman, Ibn Rochd a été un grand philosophe, qui tenta de concilier la foi et la raison. Il a été un médiateur entre les deux rives de la méditerranée : l'Andalousie et le Maghreb. Sa pensée est connue pour sa distinction entre raison et foi. Ces deux sources de la connaissance, nées il y a plus de deux millénaires sur les rives de la Méditerranée , continuent de faire leur chemin. Se conciliant parfois, s'opposant souvent, raison et foi sont toujours au cœur du débat. Comme le montre en filigrane cette création, les êtres humains vivent le temps de l'autisme ; ils sont malades dans leurs relations impossibles avec les autres êtres. La pièce nous dévoile un Ibn Rochd, passeur d'idées et d'interrogations qui lutte contre vents et marées contre le fanatisme, le despotisme et l'enfermement mais il est parfois oublié, renié voire même rejeté puisque ses livres finiront par être brûlés. Ce penseur appelle au dialogue des civilisations et des religions et à vivre dans la diversité. Un grand esprit qui fut en son temps, le pont entre les cultures (juive, arabe, chrétienne) de la mythique et pacifique Andalousie. La pièce de Ezzeddine Madani, riche de symboles, débute dans la pure tradition classique et se dégage progressivement de cette convention pour aborder une démarche théâtrale plus dépouillée, qui intègre le théâtre dans le théâtre. De dévoilement en dévoilement, on pénètre dans ce monde d'Ibn Rochd. Les personnages communiquent d'un bout à l'autre du monde. Ils se réunissent pour échanger des informations, participer à l'immense et dérisoire comédie humaine de ce temps. Ils se réunissent mais ne se rencontrent guère, car ils ne mettent pas en commun l'essentiel de leur angoisse, l'essentiel de leur questionnement. Toute une galerie de personnages dont des théologiens intégristes assoiffés de pouvoir, un vizir bête et méchant, un poète à la mesure du monde, des ânes intelligents réfléchissant à la médiocrité de l'humanité. Tous ces enjeux, cette tension, ces conflits sont bien exprimés par les jeunes talents . Moncef Souissi a excellé dans le rôle d'Ibn Rochd, un rôle difficile et complexe, qui n'est pas de tout repos. Kouka quant à lui, a réussi à rendre le texte de Madani accessible au public. Reste aussi à féliciter tous ceux qui ont contribué à cette réussite notamment : Jalila et Mohamed Saleh Madani (costumes), Aymen Nekhili (masques), Habib Jarmoud (lumière) et Sana Jaffeli (son)