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L'enjeu est de taille Festival international de Hammamet : Ouverture de la 46e session —Ibn rochd, aujourd'hui, du trio Ezzeddine Madani, Moncef Souissi et Mohamed Kouka
Comment résister à la force, à la pertinence, à l'élan caustique d'une œuvre telle que celle d' Ibn Rochd? Plus que de pertinence, ne s'agit-il pas d'un projet de société? D'un œil visionnaire? D'une entreprise se proposant de révolutionner le monde, de le mettre sens dessus-dessous? Mais ce monde n'était-il pas déjà ébranlé par la satellisation de la pensée islamique que partageait la soi-disant interprétation diversifiée de l'islam et de ses préceptes ?A preuve, la sectarisation de la place religieuse dans une Espagne traitant de la religion dans la frilosité de l'ignorance et de la fausse dévotion. Rien d'étonnant à ce que soit remuée une question qui fit le malheur d'Abou hamed Al Ghazali, moins d'un siècle plus tôt : comment concilier entre religion d'une part et philosophie de l'autre? Avec, il va de soi, cette nuance qu'Al ghazali fut un philosophe qui a lutté contre les philosophes, estimant que la connaissance reste loin de pouvoir mener à une parfaite communion avec Dieu. Pour revenir à Ibn Rochd, la question la plus adaptée à sa représentation par nos contemporains semble être celle du rapport de la religion au pouvoir. C'est sans doute ce qui justifierait la re-visite d'une pensée mettant en question les termes de l'exégèse et sa perception par les théologiens de l'époque. Autant parler d'une phase de gestation des grandes mutations culturelles, religieuses, sociales et politiques. C'est sans doute là que réside la pertinence de la re-visite d'Ibn Rochd. Un projet qui renoue, pour Ezzeddine Madani, avec le bon vieux temps où le grand festival de Hammamet (et de Carthage aussi) s'ouvrait par la grande porte d'une production théâtrale, spécialement conçue pour la circonstance, ou alors prévoyait une production dans sa programmation. Des spectacles, comme Al Hallaj, Azzinj, Hammouda Pacha et j'en passe, ont fait la gloire de ces festivals qui, entre temps, se sont frayés d'autres choix de l'animation... Renouer avec cette initiative relève d'un mérite de part et d'autre : celui de Ezzeddine Madani qui revient pour ainsi dire à la charge, en insufflant un second souffle à sa démarche prospective d'un théâtre à thèse, d'un théâtre qui sème le doute quant à la suffisance qui obstrue la progression de la recherche dans les voies de la création théâtrale. Et, du côté du festival de Hammamet, celui de Lassaad Ben Abdallah, qui semble avoir calculé le risque d'un spectacle intellectuel, en pleine proximité avec une cacophonie se faisant prévaloir d'humour, de connivence avec les instincts les plus triviaux des publics, d'une soi-disant écoute en phase avec l'époque et ses exigences. Derrière cette production, la complicité entre trois seniors du théâtre tunisien: E.Madani, Moncef Souissi et Mohamed Kouka. En fait, deux tandems :Madani et Souissi, d'une part, et Madani et Kouka, d'autre part. Soit la quintessence d'une expérience qui a, tour à tour, généré de grandes œuvres marquantes dans l'histoire du théâtre tunisien : Azzanj et Hammouda Pacha, Carthage, Ala al bahr al wafir. C'est dire le potentiel qui sous-tendait ce projet et, par conséquent, donnait toutes ses chances d'aboutir à ce projet. Ibn Rochd, aujourd'hui, telle qu'elle a été écrite par Ezzeddine Madani, est une pièce qui rejoint le propos de l'auteur sur la culture et la pensée islamiques, dans leur confrontation avec la pratique sociale et politique. De la nuance d'un jeu sobre Pour autant que sa réécriture dramaturgique fut assurée par Moncef Souissi, il est aisé de faire la part entre le texte initial et son adaptation à la scène. M. Souissi a envisagé une projection de la pièce dans notre époque. Y a-t-il réussi ? En y mettant un brin d'humour, il a amené les publics à se retrouver dans des situations qui auraient été peut-être inaccessibles pour eux. Revers de l'amalgame : la confusion dans la composition des personnages et dans le jeu des comédiens. Les styles de jeu ont alterné entre le réalisme, le surréalisme, le classique, le burlesque, le tragique... Pour une pièce qui aborde un thème aussi complexe que le rapport religion-pouvoir, n'aurait-il pas fallu œuvrer dans la nuance d'un jeu sobre, dans l'économie de la déclamation, loin de toute forme d'excès? A propos de nuance, le spectacle a sacrifié l'un des atouts les plus importants: le travail sur la lumière. Le va-et-vient entre les notions de la rationalité et de l'obscurantisme a été pratiquement occulté. Manifestement, le spectacle a voulu se prévaloir de la restitution de la démarche d'une théâtralité qui semble perdre du terrain, dans la foulée de l'improvisation. Il a choisi de créer sa propre musique scénique, de se concevoir dans une sorte de spécificité esthétique. Nous sommes réellement en présence d'un sursaut de théâtralité qui apporte, sans nostalgie aucune, du baume dans le cœur des publics qui savent l'estimer à sa juste valeur. C'est un sentiment dont il faut certainement tenir compte dans le suivi de cette démarche, d'autant qu'il s'est manifesté dans la présence statistique, mais aussi qualitative des publics que l'on commençait à désespérer de voir aussi nombreux dans un spectacle théâtral Ibn Rochd, aujourd'hui est un moment fort dans ce sens. L'enjeu que représente cette pièce est de taille, encore faut-il la réconcilier avec ses propres intentions. Par un réajustement dramaturgique, dans la perspective d'une ponctuation intellectuelle consécutive au texte initial, par une exigence au niveau du travail des comédiens et par la création d'une lumière plus appropriée, sensible à la respiration philosophique du combat pour la rationalité assumée par Ibn Rochd.