Dans un allemand désuet, cela veut dire « blablabla ». Et il s'agit de la première pièce, avant « La Tragédie du Roi Richard », à avoir été à l'honneur au Palais des Papes. D'où la controverse. Non pas pour le titre. Mais pour ce que peut représenter, dans la vieille et auguste Cour d'honneur, un spectacle avec un titre pareil. On l'aura su, « Papperlapapp » ne sera pas joué ailleurs qu'au Palais des Papes. Les papes ont donc été exhumés pour les enterrer de nouveau et aussi vite. Qui les regrettera ? Probablement les organisateurs Hortense Archambault et Vincent Baudriller qui, en s'associant au Suisse Christoph Marthaler et à l'écrivain français Olivier Cadiot (qui a collaboré à la dramaturgie, ce qui ne l'empêtre pas réellement dans cette conspiration théâtrale), voulaient se lancer un nouveau challenge. Car le théâtre de Marthaler est spécial ; il n'y a qu'à lire « Mélanges » (P.O.L, 2010), son échange avec Cadiot, pour s'en rendre compte. On y retrouve même toutes les bases et les caractéristiques de sa création, gardées sauves dans « Papperlapapp », là où cela attire l'attention, comme là où cela ennuie… profondément. C'est un honneur pour un metteur en scène d'être choisi pour jouer dans la Cour d'honneur – et ce n'est pas un jeu de mot – durant le Festival d'Avignon. Un honneur parfois apeurant, contraignant. Il y en a même qui déclinent cette proposition. Parce que la scène est immense, le challenge est de pouvoir l'occuper en longueur et en largeur. Et Marthaler a fait les choses différemment : il l'a aussi occupée en hauteur, en exploitant le mur qui s'élève derrière la scène, ses fenêtres, ses balcons, ses escaliers, etc. Le propos de la pièce ? Aucun, vraisemblablement. Marthaler voulait aller d'une idée, qui est l'endroit lui-même. Aussi devait-il, pour l'histoire des papes, interroger le passé et le présent. Surtout le présent. Jean-François Perrier en parle : « Quelle que soit l'œuvre présentée, il [Marthaler] reste animé d'une volonté d'établir un dialogue avec ses contemporains, en étant toujours ‘‘ici et maintenant''. C'est sans doute là le secret du travail de Christoph Marthaler, tout à la fois observateur du monde et poète de la scène. » Ses personnages observent la scène longuement une fois qu'ils ont été déversés par le camion bâché dans cette sorte de musée où les oriente un guide aveugle et polyglotte. Un guide aveugle : le premier contact avec la pièce est d'emblée ostentatoire. Les quatorze visiteurs marchent entre des tombeaux de papes sans sculpture, des bancs d'église, des prie-Dieu, un immense confessionnal, ainsi qu'un réfrigérateur Coca-Cola (pour l'eau bénite) et des machines à laver (pour laver les péchés). Ce qui peut paraître intelligent manque horriblement de subtilité. Discours snob d'intellectuel, ni plus ni moins. Bien démodé. « Je crois que mon théâtre est très altmodisch : c'est un mot extraordinaire en allemand qui veut dire ‘‘démodé'', mais sans connotation négative – hors du temps, peut-être. » C'est Marthaler qui parle dans « Mélanges ». Sans commentaire. Hors du temps Parce que, hors du temps, sa pièce l'est, en effet. Les spectateurs, à force, n'ont plus du tout la notion du temps. La lenteur des gestes est insupportable, les transitions sont diluées au point de paraître absentes, l'inaction est affligeante. Pendant plusieurs minutes, il ne se passe rien sur scène. Pendant cinq minutes, un homme assis au pied d'un tombeau fait monter et descendre le gisant qui lui dit : « Merci, infiniment », avant de prendre sa place, et ainsi de suite. Pendant cinq minutes entières. Et c'est peut-être l'un des rares moments où les personnages de Marthaler… parlent ! Parce que, selon le metteur en scène suisse, le théâtre, ce n'est pas du texte. Alors merci, au nom de l'histoire millénaire du théâtre ! Marthaler préfère quand cela chante, aussi a-t-il truffé la pièce de moments d'opéra… pleins de grâce, il faut l'avouer. Pourtant, il n'y avait pas – il faut en parler au passé, désormais, pour le bonheur du plus grand nombre – que du mauvais dans cette pièce. De vraies trouvailles donnaient à réfléchir, comme quand les visiteurs se mettaient à prier devant le confessionnal d'où émergeaient des gerbes de feu alors que c'était un ouvrier qui travaillait à l'intérieur. Ou quand une femme penchée sur l'avatar de tous les papes a narré, en le tutoyant, l'histoire des papes d'Avignon… jusqu'à celle de Benoît XVI. Malheureusement, cela n'a pas suffi pour attirer davantage les spectateurs qui s'en allaient dès la première demi-heure. Bruyamment, exprimant leur mécontentement. On s'est même demandé si le but de la pièce n'était pas que les spectateurs s'en aillent, non pas après, mais pendant la représentation. Intéressant comme concept, n'est-ce pas ? On pourrait faire du théâtre contemporain avec cela.