Un livre, coédité par le Festival d'Avignon et Paul Otchakovsky-Laurens, l'amoureux de l'éclectisme. Un petit livre écrit à huit mains par deux artistes associés du Festival et les deux organisateurs de la présente session. Une simulation théâtrale pour mieux comprendre le plus grand festival d'été au monde… Pendant deux années consécutives, afin de préparer la 64e édition du Festival d'Avignon, Hortense Archambault et Vincent Baudriller ont enregistré leurs conversations avec deux artistes d'horizons et de parcours différents : l'écrivain et dramaturge français Olivier Cadiot, et le Suisse Christoph Marthaler, metteur en scène de théâtre et d'opéra. C'est un échange en un seul acte, un condensé de tout ce qui a été dit dans différents endroits, qui deviennent une sorte de bistrot, de restaurant ou de lieu de passage où se déploie l'imagination. Un rappel des lieux de rendez-vous des intellectuels, mais aussi, probablement, des images inventées par chacun des deux dramaturges. « Deux femmes passent portant un grand plat contenant un sanglier, une rose dans la bouche » « On entend au fond de la cuisine un cuisinier découper un chevreuil à la hache » « Un groupe de serveurs entre portant un grand pavois présentant un cerf dix cors arrosé d'une sauce à la crème et aux champignons des alpages ». À ne pas prendre au sérieux, voudraient dire les hommes et femmes de théâtre. Le théâtre contemporain n'est pas à prendre au sérieux, il n'a pas de logique, et ce livre non plus… Pourtant, il y a une logique interne dans ces « Mélanges » où on perçoit à peine les transitions, les interruptions, les voyages, les absences, peut-être les disputes, les mésententes, les frayeurs, bref, tout ce qui peut bringuebaler la préparation d'un festival tel que celui-ci. La discussion s'enchaîne d'un seul trait, comme elle se lit d'une traite, et comme si les échanges des artistes étaient les différentes ramifications, toujours renouvelées, du même point, du même souci, de la même obsession qu'est la création. Les limites de chacun, sa qualité Car c'est bien de la création que parlent Cadiot et Marthaler, interrogés ou orientés par Archambault et Baudriller. Sans pour autant comparer leurs œuvres – chacun est dans une sphère théâtrale bien à lui , ils échangent autour de leurs approches créatives, de leurs capacités, de leurs préférences, de leurs choix, parfois de leurs idéaux, de leurs croyances artistiques, et souvent de leurs limites, qui font de leur théâtre ce qu'il est. « Moi je ne peux pas écrire, et même presque pas parler : j'ai donc besoin d'un autre langage, comme la musique ou le théâtre, qui m'aide à trouver des images pour comprendre le monde », dit Marthaler, par exemple, après avoir parlé du talent d'écriture de Cadiot. Chacun évoque le théâtre de l'autre, qu'il connaît bien vraisemblablement, pour le questionner dessus comme un spectateur interrogerait un metteur en scène à la fin de la représentation. Il l'encense, également, ce qui ne nous empêche pas parfois de remarquer une certaine complaisance. Mais il en profite, aussi, et surtout, pour parler de son propre théâtre – là où on décèle une certaine obsession du « moi » qui n'est peut-être pas péché chez les gens du théâtre… et chez ceux d'Avignon, spécialement. Ceci rend, peut-être, la lecture de ce patchwork plus agréable. De savoir, oui, que ces gens sont eux-mêmes des pièces du rouage d'une énorme machine telle que celle du Festival d'Avignon. Et puis leur discussion est, simplement, un peu comme un échange auquel le lecteur assisterait, sporadiquement, et dont il cueillerait des morceaux à la volée. Sans prendre personne au sérieux, mais en appréciant les personnages, leur jeu, leurs masques, leurs délires, parfois leurs rodomontades, leur sens de l'improvisation… Il y a, ainsi, des perles que sortent l'un et l'autre, comme Cadiot, quand ils réfléchissent à la façon d'animer différemment la Rue de la République : « On mettrait des confessionnaux partout pour que les spectateurs viennent se plaindre des spectacles. » Clin d'œil au Palais des Papes, et au spectacle de Marthaler qui y est joué à la Cour d'Honneur, « Papperlapapp », dont parle, notre Lettre d'Avignon.