C'est l'une des plus vieilles villes de France, et son festival de théâtre est le plus grand au monde. Les comédiens s'y pavanent, aujourd'hui, dans des costumes de tous les temps, autour du Palais des Papes, comme y circulaient les habitants, intra-muros, des centaines d'années auparavant, sous la protection des papes. À l'intérieur des murs, l'histoire de la ville et de son festival se lit sur les façades, et sur tant de visages, aussi; ceux des comédiens de toutes les zones, ainsi que ceux des spectateurs guidés jusqu'ici, de partout dans le monde, par l'amour du théâtre. Toutes les langues se croisent et puis s'arrêtent pour une performance, se regroupent pour un spectacle de rue, pour un rire, pour un applaudissement… Jean Vilar voyait-il aussi grand, et aussi loin? « À l'origine, un jeune homme de théâtre vigoureux tomba amoureux d'un lieu, d'une cour aux hauts murs sévères, raides et solennels, comme la myrte des Papes où s'engouffraient et tournoyaient à l'envi la grande histoire et le mistral. C'est l'amour passionné et laborieux de Jean Vilar qui fit d'un lieu de tourisme un théâtre. C'est l'énorme succès que rencontra cette aventure qui refit de ce théâtre un haut lieu touristique. » C'est Jacques Weber qui explique, dans un billet d'humeur publié dans la gazette intitulée ‘‘L'effeuille du off'', distribuée dans les rues, à l'instar de ‘‘La terrasse'' et tant d'autres feuilles de chou créées pour l'événement. Il parle de la passion d'un comédien qui, en 1947, a signé la première page d'un testament de l'art que l'on continuera de se léguer, pour longtemps et entre encore plus de passionnés. La preuve en est : le festival s'agrandit au fil des années, de plus en plus, et si classique et contemporain se côtoient, d'autres disciplines que le théâtre, telles que la danse, se font inviter… ou s'invitent. Car il y a la programmation officielle du festival d'Avignon, le « In » comme on dit, et qui se déroule dans les plus beaux espaces de la petite ville, comme, en premier lieu, la Cour d'honneur du Palais des Papes où est jouée «Papperlapapp», la pièce expérimentale – et très spéciale (nous en parlerons dans une prochaine lettre) – du metteur en scène suisse Christoph Marthaler, ainsi que « La tragédie du Roi Richard II », d'après Shakespeare et avec Denis Podalydès. Les programmateurs de cette 64e édition du festival, Hortense Archambault et Vincent Baudriller, ont également fait intervenir la danse en ouvrant la magnifique cour du Lycée Saint-Joseph au Groupe acrobatique de Tanger avec un spectacle intitulé « Chouf ouchouf »… Par ailleurs, une autre programmation s'est ajoutée, à travers ces soixante-trois ans que compte le festival, à la périphérie. Le « Off » est probablement ce qui fait du festival d'Avignon le plus grand festival de théâtre à ciel ouvert, proposant des pièces, des performances et des lectures tout aussi intéressantes que celles du In, et parfois davantage… Et puis il y a, le long de la Rue de la République, et jusqu'à la Place de l'Horloge, entre les cafés, les restaurants, les bars et les glaciers, entre les fontaines et les arbres, à l'ombre des préaux des boutiques, ou sur la chaussée même quand la rue devient piétonne à l'arrivée du soir, il y a ces performeurs qui, jusqu'au petit matin, monnayent leur espoir d'être aperçus par un professionnel avec de petites pièces et des applaudissements. Il y a, on en a l'impression, quelque chose de magique qui s'installe en Avignon durant le mois de juillet, malgré la canicule, la fatigue et le manque de sommeil. Les comédiens font la promotion de leurs spectacles, maquillés et costumés, avec toutes sortes d'accessoires, en distribuant autant de flyers que de sourires… Avec beaucoup de patience. Il y a finalement une certaine paix possible au souvenir du rêve de Jean Vilar.