L'homme est le seul être vivant doté d'un pouvoir incommensurable qu'est la parole. Entre le hululement, les cris, le hennissement, le glougloutement, le sifflement et autres sons qu'émettent vertébrés et invertébrés, la parole demeure une particularité complexe dont l'homme est le seul détenteur. Universellement partagée, la parole se ramifie et se nuance au contact des peuples, au fil des siècles et selon les langues et les dialectes. Si d'apparence elle est unificatrice, dans son fond elle est plus un sujet de discorde. En effet, la parole est fruit de l'esprit, signe d'intelligence et de force de persuasion. Depuis la Grèce antique, la joute verbale était l'exercice de prédilection qui différenciait les orateurs. Dans l'agora, philosophes et penseurs captaient l'attention du public par une rhétorique bien ordonnée qui explicitait leur pensée. Devant le Sénat, les notables romains s'attiraient la sympathie ou les foudres des sénateurs ou de la plèbe grâce ou à cause de leurs discours. Au fil du temps, la parole est passée par les sphères des pouvoirs païens ou religieux et s'est propagée parmi le peuple. Aux mains des écrivains et des poètes, elle fut un moyen de déguiser les vérités, de contourner les réalités souvent pour mieux les dénoncer. Les Fables de Lafontaine étaient une dénonciation du régime royal, les contes de Voltaire une initiation au libre arbitre et à la prise de conscience, les poèmes de Baudelaire, un refus de l'hypocrisie et la célébration d'une beauté nouvelle, celle que renferme le « mal ». Déguiser la pensée, la travestir pour feindre est l'apanage des rhétoriciens, des manipulateurs de la parole. Véhiculer sa pensée devient un chalenge qui passe par l'appropriation et la contorsion d'une langue, d'une parole donnée. Devant cette perversion linguistique où le mot devient arme à double tranchant, le silence s'impose de plus en plus dans le discours. Le paradoxe que l'on pourrait voir dans ce procédé n'est qu'un leurre car souvent le non-dit, le tu est plus éloquent que les discours et le métalinguistique vaut toute les paroles mièvres du monde….