Une pénombre, un silence monacal, une scène où trône une chaise que vient habiter un violoncelle et puis cette musique pure qui vient meubler l'espace. Une musique particulière qui se place d'emblée à la croisée des mondes et des sons. Tel est le souvenir que l'on gardera du concert du vendredi dernier dans le cadre de l'Octobre musical. L'Acropolium de Carthage et la délégation Wallonie Bruxelles à Tunis ont proposé aux mélomanes, une rencontre au diapason de la musique et du mystique offert par Jean-Paul Dessy et de son compagnon de scène : le violoncelle… «Je crois vraiment que la musique est un espace où il se passe quelque chose qui est de l'ordre de la foi, de l'expérience d'une transcendance possible. » C'est par ces mots que Jean-Paul Dessy définit la musique. Une transcendance, une procession mystique qui tend vers l'inconnu. Une foi qui passe par les notes ; à travers la composition qui voltige et emprunte les voies du mystère dans une quête de soi et de l'émoi. Sous l'archet, les cordes du violoncelle ont fredonné des airs profonds composés par Dessy. Des airs venus de loin, d'une fantaisie peut-être, d'une recherche de pureté sûrement. Jean-Paul Dessy a capté l'attention des spectateurs par l'interprétation de ses propres compositions auxquelles se sont intégrés une partie de la «Sarabande» de la Cinquième Suite et le «Prélude» de la Deuxième Suite de Jean-Sébastien Bach. Intitulées «Sophonie», «Baruch», «Exodus» et «Amos», les compositions de Dessy étaient une invitation au voyage et à la méditation. Les notes qui formaient le phrasé d'une composition dense étaient suivies par le silence. Ce dernier accentuait l'intensité du morceau exécuté, lui conférant une dimension aérienne et puissante à la fois où l'excellence se joint à la grâce des nouvelles consonances que seul le son abyssal du violoncelle est capable d'offrir. Yeux clos, Jean-Paul Dessy était en osmose avec le violoncelle ; instrument qu'il considère comme étant « un désir très profond, très mystérieux, et qui est resté [sa] voie naturelle » par laquelle passent son émotion et son abord du monde. Si Bach et Beethoven sont omniprésents dans l'esprit du compositeur, les musiques modernes font, elles aussi, partie de sa bibliothèque musicale. C'est de cette richesse que se nourrit Dessy, qu'il crée son univers. Entre le profane et le sacré, le dit et le non-dit, l'œuvre balance, puise sa force pour aller au plus profond de l'âme et exacerber l'émotivité consciente soit-elle ou inconsciente. Sous les doigts du compositeur interprète, une autre dimension est donnée à la composition classique que nourrit une rencontre décisive avec Olivier Messiaen quelques décennies auparavant. Littéraire et musicien de formation, Jean-Paul Dessy est le poète des notes, il les interpelle pour les placer sur le chemin des anges afin qu'ils s'élèvent et se répandent pénétrant ainsi l'âme humaine. Malgré ses quarante-cinq minutes, le concert que le violoncelliste a donné dans l'atmosphère feutrée de l'Acropolium était empreint d'une force poignante tant au niveau du programme que de l'interprétation. La profondeur et mysticisme nous ont transportés loin, à travers le temps et l'espace et certain ont exprimé leur surprise et leur regret que le concert soit si concis. Avec Jean-Paul Dessy, une nouvelle page s'inscrit dans l'histoire de l'Octobre musical où il est inutile de parler de talent ni même de génie mais plutôt d'une perception nouvelle celle qui s'ancre dans la terre et tend vers l'immensité de l'univers…