En arabe, le film s'intitule «Atlel » (Ruines) ; et paraît-il, l'univers du réalisateur regorge de débris d'hommes, de décors défaits et de consciences désagrégées, un peu à l'image de ce Liban que défigurent les guerres successives et les déchirements fratricides. « Le Dernier homme» est une radioscopie du corps libanais exsangue. Ce n'est pas un hasard si l'espace récurrent est un hôpital qui accueille d'étranges malades et ouvre souvent les portes de sa morgue à des médecins légistes à la recherche du vampire friand de sang juvénile. Le docteur Khalil Shams, censé lui-même soigner ces patients et expliquer les morts exquises sans nombre qui terrorisent Beyrouth, ne résiste pas à la tentation machiavélique de sucer à son tour l'énergie vitale de ses concitoyens et concitoyennes. On peut même lire l'œuvre de Ghassan Salhab comme une allégorie de cet orient arabe convoité par ceux qui prétendent venir à son secours. Les beaux chants égyptiens et libanais qui scandent le film, les nouvelles et les images diffusées sur l'Irak de l'après Saddam et sur la Palestine meurtrie, tous ces éléments et d'autres encore unissent dans un même destin toute la Nation arabe. Le fait par ailleurs que de nombreuses scènes se déroulent dans les profondeurs marines est peut-être une allusion à la noyade, au naufrage politique, économique et culturel des pays de la région. Sinon, il faudrait comprendre les plongées à répétition du héros comme des tentatives obstinées pour trouver un sens à la débâcle collective vécue symboliquement comme une tragédie intérieure de l'Homme libanais et arabe. Le film s'achève sur des images inquiétantes sans que Ghassan Salhab ne propose de vrai dénouement au drame qu'il met en scène. Le héros et son double, deux présences maléfiques ambigües et indissociables, disparaissent dans les bas-fonds de la cité comme pour comploter contre ce Liban séculaire, si beau et si fécond. En tout cas, ce film étrange doit sa beauté au foisonnement de sens qu'il suggère, à la classe mondiale de son acteur principal qui, dans son jeu, dans son regard, dans ses émotions, concentre à lui seul tous les drames, toutes les hantises, toutes les interrogations et toute la violence de sa société la plus large. « Le Dernier homme » est une production de 2006 (année capitale dans l'histoire du Liban moderne) ; les principaux rôles y sont tenus par Carlos Chahine, Aouni Kawas, Fayeh Hmaissé et May Shabab. Film très poétique, à voir et à revoir. Les autres œuvres de Ghassan Salhab projetées dans le cadre de la 23ème édition des JCC méritent, nous a-t-on assuré, le détour. Il s'agit de « 1958 », documentaire en 66 minutes interprété par Zahia Salhab et Aouni Kawas ; « Beyrouth Fantome » (1998) avec Aouni Kawas, Darina El Joundi et Rabih Moué ; « Terra incognita » (2008) avec Karole Abboud, Abla Khoury et Walid Sadek.