Il aura marqué d'une empreinte, indélébile, le paysage cinématographique tunisien. A qui il manquera désormais. Tahar Cheriaâ est parti pour le « Grand Ailleurs », un certain 4 novembre courant. Il avait 83 ans. Les JCC lui avaient rendu hommage une dernière fois, le 27 octobre, comme une manière de saluer encore une fois, sans savoir déjà que c'était la dernière, celui qui fut le fondateur, en 1966, du doyen des festivals de cinéma arabo-africain. Et même si ce n'était pas évident, celui qui est considéré depuis longtemps, et à juste titre, comme le père du cinéma tunisien, avait tenu à être présent à ce rendez-vous qu'il a créé, et qui n'a eu de cesse de faire battre les cœurs de tous les cinéphiles tunisiens, à chaque session renouvelée, au diapason du sien, envers et contre tout. Aujourd'hui qu'il a tiré sa révérence, le cinéma tunisien, les JCC, le FESPACO, et toute la petite (grande) famille du cinéma, mais aussi des générations de cinéphiles à qui il aura transmis le goût de rêver en images, à un monde, de préférence meilleur, se sentent sûrement orphelins. Car, s'il est vrai que dans la vie nul n'est irremplaçable, il n'en est pas moins vrai que certaines figures tutélaires, ayant valeur de symboles, ne peuvent qu'habiter, inéluctablement, le panthéon de la mémoire, non pas comme une manière de les enterrer davantage, mais par fidélité à tout ce qu'ils ont pu entreprendre pour leur pays, en y consacrant jusqu'à leur dernier souffle, ce qu'il y a de meilleur. Ici en l'occurrence, une passion pour le septième des Arts, portée comme un sacerdoce, et la ténacité inébranlable de ceux qui savent aller jusqu'au bout de leurs rêves, pour construire quelque chose qui a valeur de transcendance. La culture cinématographique par le biais des ciné-clubs, le monde dans sa diversité, ancré dans son identité et refusant farouchement l'enfermement et les murs qui se resserrent, et la conviction que le cinéma, ce n'est pas seulement des histoires qui défilent en technicolor, mais aussi une humanité qui avance, à la recherche de quelque chose qui pourrait ressembler à du bonheur, comme un « train dans la nuit » selon la formule de Truffaut. Tahar Cheriâa devait se rendre compte que certains rêves se sont écroulés comme des châteaux de cartes, que les salles de cinéma ont fermé leurs portes, progressivement, et que le cinéma tunisien qu'il a tant défendu, peine aujourd'hui à sortir de l'ornière dans laquelle il s'est enlisé depuis longtemps. Et ça devait l'attrister sans nul doute, lui qui a su faire de la résistance, en la matière, le dernier rempart contre la médiocrité et l'apathie. Mais il cultivait peut-être aussi le secret espoir qu'une vitalité nouvelle allait s'emparer du secteur, pour le ranimer d'une flamme, laquelle ne s'éteindrait plus, devant la floraison de tous ces nouveaux talents, qui ont donné à voir des courts-métrages, audacieux et insolents, comme une réponse à ses interrogations. Oui, la renaissance du cinéma intra-muros ne peut venir que de la jeunesse. Et ça, ça lui aurait fait très plaisir…