Le décès du père spirituel du cinéma tunisien, Tahar Cheriaâ, disparu le 4 novembre 2010 à l'âge de 83 ans, a suscité une profonde tristesse chez ceux qui l'ont côtoyé, notamment parmi les gens de cinéma, aussi bien en Tunisie que dans le reste du continent africain, tant le défunt avait contribué à la promotion du septième art en Tunisie, en Afrique et dans le monde arabe. Le rapport de Tahar Cheriaâ au cinéma remonte aux années 1940, quand, élève au Collège Sadiki, il a visionné, avec une bande de camarades, le film égyptien Le général Chahine. A lui seul, le nom de Tahar Cheriaâ évoque la question du cinéma du Sud. En effet, on doit au défunt, qui était à l'origine de la création du service du cinéma au sein du ministère de la Culture, d'avoir contribué à l'élaboration des textes régissant le secteur cinématographique en Tunisie. M. Fethi Kharrat, l'actuel directeur du cinéma au sein du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine rappelle en ce sens que «l'une des premières contributions du disparu au cinéma a été d'avoir saisi très tôt l'importance d'un cadre législatif régissant le secteur, et cela avant même l'instauration d'une dynamique cinématographique réelle dans le pays». Tahar Cheriaâ a à son actif plusieurs autres réalisations en faveur du cinéma. La plus importante est sans conteste la fondation des Journées cinématographiques de Carthage. Aux côtés de Hassen Bouzriba, Nouri Zanzouri, et Moncef Ben Ameur, il a eu en effet l'idée de créer un festival de cinéma africain d'envergure. L'initiative a le soutien de M. Chedly Klibi, ministre de la Culture de l'époque. Le ''festival cinématographique de Carthage'' (première appellation des JCC) était né. Parce que le cinéma ne se réduit pas pour lui à un simple divertissement, mais fait partie d'un projet participant à la construction de l'identité nationale, en ce qu'il contribue à enraciner les valeurs d'une appartenance commune, Tahar Cheriaâ a contribué à la création d'un cinéma africain porte-drapeau du continent dans son ensemble. Tahar Cheriaâ fut ''le géant et le père du cinéma tunisien et dans une large mesure du nouveau cinéma arabe, et du cinéma africain'' a déclaré à la TAP le réalisateur tunisien Férid Boughdir. ''Il fut un visionnaire qui avait réservé la compétition des JCC au cinéma arabe et africain alors qu'il n'y avait pas encore de festival africain'', a-t-il ajouté. ''Il a milité pour que les Tunisiens ne soient pas que de simples consommateurs d'images fabriquées par les autres, mais qu'ils produisent eux-mêmes les leurs propres et leur propre identité culturelle, sociale, et politique'', a-t-il poursuivi en précisant que ''c'était sa façon à lui de lutter contre le colonialisme culturel.'' Découvreur de talents Sa contribution, au sein de l'Agence de coopération technique, l'ancêtre de l'Organisation internationale de la francophonie (OIF), à la création, en 1971, du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), participe du même esprit de militantisme en faveur du cinéma du Sud. Il avait à ce titre demandé aux autorités de la Haute-Volta (Le Burkina Faso actuellement) que le Fespaco ait lieu les années impaires — les JCC ayant lieu les années paires —, dans l'objectif de créer un relais permanent entre le Maghreb et l'Afrique noire. Découvreur de talents, Tahar Cheriaâ n'avait de cesse d'aider les jeunes réalisateurs et producteurs tunisiens à concrétiser leurs projets. «Outre les conseils qu'il prodiguait aux jeunes qu'il encadrait dans les différents ciné-clubs, il a œuvré à ce que les JCC fussent un véritable atelier de formation et une pépinière pour le cinéma d'auteur», nous a déclaré le critique de cinéma et successeur de T. Cheriaâ à la présidence des JCC, Moncef Chareddine. Le critique de cinéma Khemaies Khayati témoigne de son côté que ''depuis les années 1960, le disparu était un habitué des projections hebdomadaires organisées par le ciné-club de Tunis''. L'on doit également à Tahar Cheriaâ d'avoir élargi les horizons des circuits de distribution des films tunisiens. ''Il avait convaincu les distributeurs des films et les propriétaires des salles de cinéma de programmer les films tunisiens, contribuant ainsi à leur diffusion auprès du grand public'', indique Lotfi Laâyouni, président de la Chambre syndicale des producteurs tunisiens. De son côté, le réalisateur Ali Laâbidi a déclaré à la TAP qu'''il n'existe pas de cinéaste arabe ou africain, toutes générations confondues, qui ne reconnaisse pas les mérites de Tahar Cheriaâ, et je suis l'un d'eux''. Le disparu du cinéma tunisien était par ailleurs un critique et un écrivain ayant à son actif plusieurs écrits et articles sur le cinéma. ''J'en ai tiré grand profit dans mon travail de journaliste et d'animateur radio'', reconnaît le journaliste et critique Hatem Bourial. S'agissant des qualités humaines du disparu, l'universitaire et critique de cinéma Kamel Ben Ouanès indique que ''Tahar Cheriaâ était un patriote sincère, et il est parti en léguant un héritage intellectuel et cinématographique d'envergure qu'il importe de conserver et de fructifier''.