Vous n'avez plus le droit d'être entre rêve et réalité. Vous devez rester éveillés pour préserver votre rêve. Car votre rêve n'appartient pas au monde des chimères, de l'inaccessible imaginaire et de la perdition. Votre rêve est aujourd'hui plus solide, plus charnel, plus coupant que toute réalité. Vous n'êtes plus des mules, que le premier passant peut enfourcher, pour rattraper les chimères de l'Histoire. Désormais, vous avez des ailes, vous pouvez donc vous envoler. Que votre tête dépasse les nuées n'est aucunement un problème, à condition que vous ne perdiez pas de vue le bout de vos pieds, qui –eux- doivent rester bien cloués sur terre. Pour vous empêcher de vous égarer et de quitter cette terre qui a vous a fait naître, que vous avez nourrie de votre sueur, de votre sang, de votre exode dans les plus obscures des conditions. Cette terre qui est en vous, que vous êtes… terre où vous reviendrez vous coucher quand tout sera mis sous scellé, en attendant le grand moment du décompte. En attendant ce jour-là, je vous en prie, ne baissez pas les bras, faites-leur la vie dure. Pour qu'ils sachent que s'ils se présentent pour prendre votre vie en gage, et vous amener là où vous voulez aller, là où ils vous amèneront, ne sera jamais l'île de la solitude paradisiaque, dont votre cœur, votre âme, votre cerveau vont humer les frémissements imperceptibles des premières roses du verbe aimer. Qu'ils prennent le gouvernail, en vous chantant les louanges d'une joie immaculée, faites juste semblant de croire à leurs chants de chimère, et suppliez les vents pour qu'ils soufflent dans le sens contraire, de celui où leur gouvernail voulait vous faire accoster. S'ils vous déversent sur une plage qu'ils vous disent de salut, ne les croyez pas, ce sera le port illuminé de cent mille feux, de votre dernier enfer. Vous n'avez plus le droit de voyager entre rêve et réalité. Vous êtes devenus le plus bel enfer de la rébellion et du refus. Il n'y a pas de salut pour les fous, que dans la damnation… Alors damnez- vous, damnez-vous, et ne les laissez jamais vous amener, là où ils veulent vous amener. Vous n'êtes plus leurs prisonniers. Vous êtes le rêve d'une inaccessible éternité.