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«À moyen terme, les islamistes pourraient bien occuper le désert politique»
Le figaro
Publié dans Le Temps le 23 - 01 - 2011

Faut-il craindre l'arrivée des islamistes en Tunisie ? La révolution de jasmin peut-elle se propager au reste du monde arabo-musulman ? À ces questions, l'islamologue Mathieu Guidère, auteur de plusieurs ouvrages, dont Les Nouveaux Terroristes (Autrement, 2010), apporte des réponses argumentées.
Le Figaro Magazine - Comment expliquez-vous la chute soudaine, fulgurante et inattendue du régime de Zine el-Abidine Ben Ali en Tunisie? Et la réaction des puissances extérieures, dont la France?

Mathieu Guidère - La révolution de jasmin est avant tout l'œuvre d'une jeunesse tunisienne surqualifiée et déclassée que le désespoir et l'absence de perspectives ont d'abord poussée à retourner la violence contre elle-même (immolation), avant de manifester sa colère dans la rue contre le régime qui l'opprimait. Mais cette révolution n'aurait pas été possible sans l'abstention et le comportement responsable de l'armée face à la fuite en avant du pouvoir en place. Il ne faut pas oublier que le président Ben Ali avait limogé, début janvier, le chef d'état-major de l'armée de terre, le général Rachid Ammar, parce que celui-ci refusait de donner l'ordre de tirer sur la foule alors qu'il était censé mater la rébellion. Dans leur grande majorité, les officiers tunisiens ont sympathisé voire fraternisé avec la foule des jeunes révoltés et avec la population dans son ensemble - et ils continuent de le faire en les protégeant contre les milices fidèles au régime -, alors même que la police était prête à aller jusqu'au bout. C'est un fait: si les chefs de l'armée n'avaient pas été responsables, ce mouvement aurait été noyé dans un bain de sang sans que personne vienne au secours des victimes. Cette analyse est confirmée par la réaction prudente de la France. Ou encore par l'attitude libyenne qui, par son soutien inconditionnel à l'ancien régime, risque de déstabiliser sur le long terme la démocratie balbutiante en Tunisie.

Le Figaro Magazine : À l'exception du Libyen Mouammar Kadhafi, qui regrette le président Ben Ali, les gouvernements des pays arabes restent fort discrets sur la révolution tunisienne. Ce qui ne semble pas être le cas de leurs populations, qui ont suivi en direct les événements grâce aux chaînes satellitaires et aux réseaux sociaux. Immolations en Algérie et en Egypte, manifestations au Yémen, insatisfaction en Jordanie...: peut-on envisager un «effet domino» dans le monde arabo-musulman, de l'Afrique du Nord au Moyen-Orient?

C'est une conjonction exceptionnelle de mobilisation de la jeunesse et d'abstention de l'armée qui a permis la révolution de jasmin. C'est pourquoi une contagion n'est possible que si la même conjonction favorable se produisait dans d'autres pays. Or, il n'existe dans l'immédiat quasiment aucun autre pays où une telle situation peut se reproduire avec la même rapidité et le même succès. Dans les autres pays du Maghreb, la jeunesse désabusée ne bénéficie pas de la sympathie des militaires, qui ont davantage à perdre à la soutenir qu'à la réprimer dans le sang en cas de troubles majeurs. Au Moyen-Orient, certains militaires pourraient être tentés par un coup d'Etat, mais la jeunesse n'est pas parvenue au même degré d'instruction ni de détresse que celle du Maghreb pour se révolter avec le désespoir de ceux qui n'ont plus rien à perdre - notamment en raison de la rente pétrolière ou de la dépendance à l'égard de l'Etat. Mais s'il fallait établir une probabilité de contagion à moyen terme, il est clair que le Maroc, l'Egypte et la Jordanie figureraient en tête de liste.

Le Figaro Magazine : On peut reprocher beaucoup de choses au défunt régime, mais un fait reste incontestable: pendant vingt-cinq ans, l'islamisme - pourtant en voie d'expansion dans les années80, comme en Algérie - ne s'y est ni implanté ni développé. Il y a même été décapité. Pouvez-vous nous rappeler quelle fut la politique du président Ben Ali en la matière?

Il est clair que le régime du président Ben Ali a réussi à neutraliser l'islamisme en Tunisie, et ce fut d'ailleurs l'un des arguments majeurs de sa longévité, au regard de la situation catastrophique des libertés et des droits de l'homme. Cette neutralisation de l'islamisme est le fruit d'une stratégie à trois volets qui a été mise en œuvre de façon méthodique dès son arrivée au pouvoir en 1987. D'abord par la répression, l'emprisonnement ou l'exil de tout militant ou activiste se réclamant de l'islam politique ou appelant à l'instauration d'un régime islamiste en Tunisie. Ce volet a été mis en œuvre par une police pléthorique et surpuissante. Ensuite, par la promotion d'une classe moyenne dynamique et ambitieuse, aiguillée par un système efficace d'incitation à la consommation. Ce volet a été mis en œuvre par des conseillers techniques et des acteurs économiques d'obédience libérale. Enfin, et c'est le plus important, par la révision des contenus et des méthodes d'enseignement pour séparer la foi religieuse de l'éducation citoyenne. Ce volet a été mis en œuvre par des universitaires réformistes et des intellectuels musulmans tels que l'ancien ministre tunisien de l'Education nationale Mohamed Charfi (1), qui a réalisé entre 1989 et 1994 la séparation entre l'enseignement religieux et l'instruction civique, et qui a ouvert les écoles et lycées de Tunisie à la pensée contemporaine et à l'esprit critique. Résultat: un succès incontestable puisque, vingt ans plus tard, c'est une jeunesse tunisienne tournée vers la modernité et largement laïcisée qui s'est soulevée contre la dictature, sans aucune arrière-pensée ni motivation islamiste.

Le Figaro Magazine : Exilé depuis vingt ans à Londres, Rached Ghannouchi, leader du parti Ennahda («Renaissance», en arabe), s'apprête à rentrer au pays. Qui est cet homme? Quel sont son parcours et son discours? A-t-il encore une audience quelconque? Et, éventuellement, serait-il en mesure de récupérer la révolution tunisienne à son profit?

Le chef d'Ennahda, Rached Ghannouchi, est un homme de 70 ans originaire du Sud tunisien et théologien de formation, exilé en 1989, à Londres depuis 1991. Sous le régime du président Bourguiba, il a été condamné à plusieurs reprises à la prison pour son activisme politique à la tête du Mouvement de la tendance islamique (MTI), qu'il a fondé à la fin des années 70. Sous celui du président Ben Ali, il a été condamné par contumace à la détention à perpétuité en 1992, avant qu'il n'obtienne le statut de réfugié politique en Grande-Bretagne. Sur le plan idéologique, il représente la ligne dure du mouvement islamiste tunisien et a toujours prôné une opposition frontale au régime Ben Ali. La plupart des cadres de son mouvement ont été emprisonnés ou sont en exil en Europe. Il est relativement connu du public tunisien adulte, qui a beaucoup entendu parler de lui au cours des années 80, lorsque la Tunisie vivait sous la peur islamiste des «khawanjiyya» (nom donné par la population à ses partisans, en référence aux Frères musulmans d'Egypte, ikhwân, auquel fut rajouté le suffixe négatif de jiyya). A l'époque, il faut se souvenir que les femmes, par exemple, pouvaient difficilement circuler non voilées à Tunis sans être menacées. A court terme, il a peu de chances de prendre le pouvoir, car il lui faut d'abord réactiver ses réseaux et remettre au goût du jour les thématiques islamistes dans une société tunisienne qui tient aux acquis du siècle passé et surtout au code du statut personnel, le plus évolué du monde musulman. Toutefois, à moyen terme, il est clair que le parti Ennahda est le mieux placé pour occuper le désert politique et idéologique laissé par Ben Ali en Tunisie. Espérons que, à ce moment-là, le parti regardera plutôt du côté de la Turquie de Kemal Atatürk (laïcité) que du côté de l'Arabie saoudite (wahhabisme).

Le Figaro Magazine : L'effondrement du système répressif et policier instauré par le président Ben Ali ne va-t-il pas créer un vide sécuritaire (frontières plus poreuses, contrôles moins systématiques)? Pourquoi al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi), qui opère déjà chez ses voisins du Sahara et du Sahel, épargnerait-il la Tunisie? La conquête d'une nouvelle base et la création d'un nouveau front ne sont-ils pas dans la logique des salafistes au Maghreb?

On oublie trop souvent que la Tunisie a été le premier pays visé par al-Qaida après le 11 septembre 2001, par celui-là même qui avait organisé les attentats de New York, Khaled Cheikh Mohamed. Celui-ci considérait la Tunisie comme le pire exemple pour les musulmans du monde entier, en raison de son ouverture et de sa laïcité. Ce sera l'attentat du 11 avril 2002 qui a visé la synagogue de Djerba et a fait de nombreuses victimes parmi les étrangers (2). Le chef d'Aqmi, Abdelmalek Droukdal, n'a pas oublié cet objectif stratégique pour les djihadistes puisqu'il a envoyé, dès son admission au sein d'al-Qaida, fin 2006, un commando à Tunis, lequel n'a pu être délogé et neutralisé par l'armée qu'au bout de plusieurs jours d'accrochages, début janvier 2007 (3). Enfin, la semaine dernière, le chef d'Aqmi a diffusé sur les forums islamistes, le jour même de la fuite de Ben Ali en Arabie saoudite, un «message au peuple tunisien révolté» dans lequel il appelle les jeunes à rejoindre son organisation pour instaurer un Etat islamique sur l'ensemble du Maghreb. Ce message est accompagné d'un autre au peuple algérien, dans lequel il incite la jeunesse algérienne à prendre exemple sur les Tunisiens pour renverser le régime de Bouteflika. Et, dans les deux messages, la France est accusée de tous les maux. Bref, Aqmi rêve de conquérir la Tunisie pour mieux asseoir sa terreur sur tout le Maghreb.


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