La journée mondiale de lutte contre le tabac a suscité en Tunisie comme partout dans le monde une grande mobilisation de toutes parts et une soudaine et ponctuelle prise de conscience soutenues par les médias. Pendant une semaine, les campagnes de sensibilisation, les symposiums, les brochures d'information et les reportages dans le JT se sont multipliés. Sauf que dans le monde, le combat s'étale sur toute l'année et ne se limite pas à une petite semaine annuelle et surtout pas à un sujet de discussion momentané, une matière de traitement médiatique comme les autres.
Et si la lutte contre le tabac est condamnée à être un simple sujet d'actualité qui arrive très mal à faire avancer les choses, c'est que c'est un effort associatif parfois même individuel qui compte beaucoup sur la libre volonté du grand public, mais à aucun moment législatif. Il y a toujours un discours adressé aux fumeurs qui souvent n'y prêtent pas attention alors que les non fumeurs qui le deviennent passivement s'exposent au même risque que les amateurs de la cigarette. A moins de vivre dans une bulle de verre, les non fumeurs ne pourront pas être protégés sans une loi appropriée et surtout appliquée. Les fumeurs ne seront dissuadés que par le pouvoir législatif et exécutif. Alors que les différents spécialistes et observateurs voient en l'intervention législative une nécessité sans laquelle la lutte ressemblerait plus au mythe de Sisyphe, et alors que dans les pays développés sur le modèle desquels la Tunisie s'est engagée depuis longtemps, les lois de plus en plus restrictives commencent à porter leurs fruits, en Tunisie la loi sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics risque de tomber en désuétude... si ce n'est encore fait. Chaque année dans la même période on expose les dangers liés au tabac, les effets sur les artères, le cœur, les poumons, la fertilité et la sexualité, on démontre l'implication du tabagisme dans les pires maladies du siècle l'hypertension artérielle , le diabète et le cancer, on vante les mérites du sevrage et les vertus de la vie sans tabac, mais a-t-on oublié par hasard que la nicotine est une drogue, certes légale et peu chère, mais qui garde les mêmes effets que toute drogue : dépendance, plaisir, besoin d'une grande volonté sinon d'une aide extérieure pour en décoller ? C'est dur de s'auto contrôler. Allez dire à un toxico qu'il risque de détruire ses neurones et empoisonner irréversiblement ses cellules, il le confirmera, dira qu'il va arrêter mais quand il trouvera le courage. Avec un arsenal juridique important, on peut limiter le nombre des toxico et maintenir la menace de l'épidémie assez loin. Mais pour le tabac, on est encore loin du compte. Certes l'homme est responsable de son comportement et de ses choix, mais l'homme est faible et incorrigible, la bêtise est sa nature, c'est pour cela qu'on a inventé des lois. Quand l'expérience révèle que tel comportement humain entraîne indubitablement des catastrophes, on l'interdit ou on le réglemente. Ainsi pour le tabagisme, autant il a constitué au siècle dernier un signe de liberté et de glamour, autant aujourd'hui il est combattu législativement, mis au banc des accusés, des ennemis public n°1. Le cow- boy de Marlboro et les images de Gainsbourg avec ses Gitanes sont maintenant classés dans les archives et l'heure est à la mode anti-tabac. En Angleterre, pays où le comportement tabagique a été presque éradiqué, il est très mal vu de fumer. Le fumeur solitaire, isolé dans le box des fumeurs comme s'il avait la peste, se sent tellement irresponsable et bête de fumer encore, tellement persécuté, qu'il renonce à la cigarette. En France, l'interdiction de fumer dans les lieux publics est entrée dans le vécu des gens, par conviction ou par obligation.
Quand... les poules auront des dents ? En Tunisie, nous avons une loi assez avant-gardiste datant de 1997 mais qui malgré une bonne rédaction et une clarté dans les termes, semble un écrit venu d'une autre planète. La loi est tellement, ignorée, gardée bien au chaud dans un tiroir, que même les cafés et les restos qui optent pour un coin non fumeur le font par choix et par respect pour toutes les catégories de clients et non pas par égard à cette loi fantôme. Les autres lieux publics sans entrer dans une longue énumération, ne sont pas au courant de cette loi, ni de l'amende qui n'a jamais pointé le bout de son nez. Les touristes le remarquent dès qu'ils débarquent : on fume trop dans les lieux publics, on ne respecte pas les non fumeurs et les enfants. Or sans une loi restrictive le non fumeur n'aura qu'à changer de place si la fumée le dérange, il doit respecter les autres, son voisin est libre de détruire sa santé et se faire plaisir. Le fumeur qui pollue est libre et le pauvre client allergique condamné au même cancer que ce dernier. Il n'y a ni spots télévisés convaincants, ni affiches choquantes, seulement une petite inscription en miniscule caractère sur le paquet de cigarette datant du siècle dernier. Une analyse des moyens techniques utilisés pour pousser ou aider les gens à limiter la consommation et donc les dégâts révèle qu'il y a un effort de « prévention un peu a posteriori » (et encore !), qui se présente en une activité de conseil et d'aide au sevrage aux fumeurs ( il n'est jamais trop tard pour arrêter), alors que la proportion des fumeurs chez les jeunes surtout des jeunes filles augmente de plus en plus. Aider à arrêter quand d'un autre côté le nombre de ceux qui s'y mettent augmente serait donc une équation ridicule ? Pourquoi ne pas aider à ne pas fumer et protéger les fumeurs passifs des dangers mais aussi des tentations ? L'intervention d'une loi semble s'imposer parce que le coût des soins des maladies occasionnées par le tabagisme prendra un tel volume qu'il débouchera sur un problème de budget. Les médecins le signalent à chaque conférence autour du thème de la santé, la mise en œuvre des mesures législatives est indispensable. La nouvelle génération de fumeurs sera peut être sauvée par la providence étatique. Autre facteur d'aide au tabagisme, la vente au détail, phénomène inexistant dans les pays développés. C'est-à-dire que dès l'âge de 10 ans, un gamin peut se mettre à fumer et acheter sa cigarette n'importe où à n'importe quel moment et la fumer où il veut. C'est dangereux et pervers. Le prix du paquet, s'il augmente aussi rapidement que celui de l'essence fera des merveilles côté sevrage tabagique. Si la loi s'applique et ces facteurs d'incitation au tabac disparaissent, le nombre des hypertendus, des cancéreux et des cardiaques diminuera. On espère que ce ne sera pas une idée, intéressante, pertinente, utile et bénéfique mais qui se concrétisera quand les poules auront des dents.