Dans son cabinet de la rue Alain Savary, Béji Caïd Essebsi a passé des années à regarder se déployer les turbulences d'une politique à laquelle il ne s'est jamais identifié. Revêche, indépendant tel un félin, jaloux de sa solitude aussi, il avait eu une courtoise prise de bec avec Bourguiba (lors des années 70) quand le « Combattant suprême » lui sortit, dans une salle bondée, une histoire d'emprunt d'argent entre eux : la réponse de Caïd Essebsi, en direct à la télé, et dans cette même salle bondée, fut d'une rare virulence… En l'occurrence, mâtait-il une espèce de Pathos, celui-là même qui s'insinuait à travers les lignes de son ouvrage sur Bourguiba « Le bon grain de l'ivraie ». C'était aussi son père : mais un père qu'il a côtoyé sans en subir la fascination machiavélique et tout en se proclamant d'une légitimité utopique à l'époque : la démocratie. Oui, il fut bien président de la Chambre des députés avec Ben Ali. Mais très vite, il s'en alla méditer dans sa solitude, la dimension existentielle de la politique… jusqu'à ce que le téléphone sonne et qu'on lui intime l'ordre moral de conduire la marche de cette transition vers un régime nouveau ? Oui, mais lequel ! Car déjà, Jerad protestait énergiquement tandis que Hamma Hammami, plus trotskiste que génétiquement communiste, appelle à la révolution permanente. Quelles sont donc les urgences pour Caïd Essebsi ? La sécurité ? Il risque de se voir apostropher sur son passage au ministère de l'Intérieur du temps de Bourguiba ? Les réformes politiques ? Il risque de se voir reprocher de reléguer au second plan l'impérieuse conjoncture économique avec son corollaire le chômage et là, ses détracteurs – déjà nombreux – brandiront sa « méconnaissance » des questions économiques. Homme de consensus alors ! Sans doute pas, du moins pas encore. Les jeunes qui ont fait la Révolution ne le connaissent pas... Mais il se peut que, lui, il les connaisse, ce qui faciliterait déjà le dialogue encore que les tribuns récupérateurs, les maximalistes et les extrémistes de tout bord se remettent dans la logique dialectique de la Révolution… et qu'ils n'en fassent pas leur otage.