Par Lotfi MRAIHI Au printemps 2010, ont été publiées les mémoires de M. Béji Caïd Essebsi. Elles succédaient de peu à d'autres signées de la plume d'anciens ministres de Bourguiba. La qualité de l'ouvrage : «Le bon grain et l'ivraie» de M. Caïd Essebsi, sa sincérité et la véracité de ses affirmations que j'ai pu recouper avec d'autres témoignages m'ont permis de rectifier l'image que j'avais de la personne. Je n'ai jamais eu le plaisir de rencontrer M. Caïd Essebsi mais mon éveil politique m'a permis de suivre un pan de son itinéraire et de construire une image et un jugement qui n'ont cessé d'évoluer et de se rectifier sous le poids de ma propre maturation et des évènements. J'avoue que mon appréciation a été encline finalement vers une déclinaison avantageuse pour l'homme sans toutefois atteindre cette forme de sublimation qui semble être la mouvance aujourd'hui. Par ailleurs, je n'ai guère apprécié les attaques dont il a été l'objet se focalisant sur son âge comme s'il avait à s'excuser d'être en bonne santé et encore en vie. J'ai préféré juger l'homme d'Etat à l'épreuve du pouvoir dans un pays en transition difficile. Durant les quelques mois de son exercice à la tête du gouvernement j'en retiens la mention honnête sans verser dans le satisfecit ambiant. J'avoue également avoir été surpris par son désir de reprendre du service et de s'impliquer à nouveau dans l'action politique. Peut-être est-ce parce que je réprouve le carriérisme politique et que je suis plus enclin au modèle anglo-saxon ou est-ce parce qu'il s'agit d'une approche que je honnis et qui a fait le lit de la présidence à vie. N'empêche, le retour de M. Caïd Essebsi sur la scène politique semble susciter plus de ferveur que de réticences du moins dans le camp «moderniste». Il aurait été peut-être plus prudent pour moi d'emprunter la vague et épouser la tendance que de clamer la distance. Mais, encore une fois, c'est une certaine conception de la politique qui m'impose le courage de nager à contre-courant et révéler les causes de mes réticences. D'abord j'ai vécu et observé la politique se faire chez nous autour de l'idolâtrie et du culte des personnes sans se soucier des programmes et des projets. Je ne peux m'inscrire dans un remake lamentable d'un simulacre de plébiscité. J'aurais adhéré à l'appel de M. Caïd Essebsi s'il avait fait don de ses années de quiétude et de retraite paisible pour rassembler les différentes chapelles et partis de l'opposition dans un front dont il avait été le fédérateur et qu'il aurait accompagné vers une fusion ou une unification. Hélas, il apparaît clairement que le désir de M. Caïd Essebsi est de fonder un parti politique qui aboutirait, quel qu'en serait le succès, à effriter le camp moderniste et à attiser ses animosités fratricides. Enfin, je pense que les craintes des Tunisiens et leurs inquiétudes ne peuvent être dissipées par un homme providentiel. Ceux qui voudraient remettre les clefs à un père protecteur n'ont pas encore compris la portée de la révolution et n'ont pas effectué sur eux-mêmes le travail nécessaire qui passe par leur propre émancipation et leur aptitude à prendre en main leur destin et à s'impliquer dans la vie publique. Les jeunes qui ont été à l'avant-garde du mouvement ont accompli cette mutation mais hélas pas encore les quadras, les quinquas et autres. Notre destin est entre nos mains, les autres ne sont ni plus forts ni encore plus nombreux mais leur implication est plus franche et plus résolue. La bataille pour une Tunisie moderne, ouverte, conciliante et authentique ne fait que commencer, il serait illusoire de se dérober des véritables obligations et se résoudre aux solutions mirages.