Si l'on ne « rétablit pas les équilibres, si l'on ne s'attelle pas à donner de l'emploi au maximum de jeunes (et même de moins jeunes) sans emploi, « nous aurons tout raté et nous aurons trahi la Révolution elle-même » ! Il coupe court, lâchant le mot, à l'intention de ceux qui ne s'expliquent pas que la justice tunisienne ne fonctionne pas comme celle en Egypte. «L'Egypte est un régime militaire». On nous accuse de sur-endetter le pays alors que ce gouvernement est provisoire. Soit. Dites-nous comment faire et apprenez-nous à faire du sur-place !. Déroutant. Fascinant. Vieux jeu. Avec Béji Caïd Essebsi on passe d'un éventail à un autre. Tantôt vindicatif et tout de suite après un tantinet biblique : « patience », dit-il, et il fait comme s'il s'apprêtait à tendre la joue gauche. Tantôt grave – annonçant l'apocalypse, mais fier de la Révolution. Politiquement vicieux aussi : « cette Révolution a été faite par les jeunes, les laissés pour compte et eux seuls sont en droit d'en revendiquer la légitimité. Et là, il le dit crûment : « oui, on a récupéré la Révolution ». L'allusion est claire : la bien-pensance jette son dévolu récupérateur sur les aspirations de la jeunesse ». Attention à ne pas trahir la Révolution Pour autant, le Premier ministre (et cessons avec le stupide qualificatif « provisoire ») rappelle que si l'on ne « rétablit pas les équilibres, si l'on ne s'attelle pas à donner de l'emploi au maximum de jeunes (et même de moins jeunes) sans emploi, « nous aurons tout raté et nous aurons trahi la Révolution elle-même » ! Dans l'exposé romancé, amer, mais aussi ironique à l'endroit de « ceux qui n'ont rien compris » à ses yeux, Caïd Essebsi sensibilise les Tunisiens quant « aux graves enjeux socio-économiques »… « Quand nous sommes arrivés (entendez quand je suis arrivé !) le taux de croissance, nous a-t-on dit, était de 1%. Aujourd'hui, il est à -3% (…). La croissance renchérit-il, c'est elle qui assure l'emploi ». On comprend aisément la démarche dans ce discours : C'est comme s'il déplorait cette « overdose politique », laquelle supplante les urgences impérieuses d'ordre socio-économique. « Nous avons bien signé le protocole des augmentations salariales avec l'UGTT », fixant des yeux, et sans le nommer, Abdessalem Jerad, dont la participation à la manifestation de la rue Mohamed Ali aurait déplu au Premier ministre. « Nous avons laissé le soin à l'Association des Magistrats Tunisiens – et en plus, il y a un syndicat maintenant chez les juges (là il est faussement condescendant) - d'établir la liste des magistrats sur lesquels pèsent des présomptions de corruption. Et pour ne pas commettre d'injustices, ces juges auront le droit de s'expliquer devant le Conseil de discipline ». Par ricochet, on comprend par là, qu'il n'y aurait pas de poursuites judiciaires. En revanche, il déclare comprendre cette ébullition provoquée par « le laxisme dont bénéficient certains symboles de l'ancien régime et qui sont partout, avec effronterie, entre autres dans les plages ! ». Là, il dit que la justice reste indépendante et « qu'il va falloir un peu plus de célérité ». Sinon, il coupe court lâchant le mot, à l'intention de ceux qui ne s'expliquent pas que la justice tunisienne ne fonctionne pas comme celle en Egypte. « L'Egypte est un régime militaire ». C'est assez audacieux de sa part. Au second degré, le message remonte jusqu'à Farhat Rajhi et ne laisse pas insensible le Général Ammar : l'armée reste dans son rôle. Endettement ? Béji Caïd Essebsi n'a jamais été friand d'exposés économiques, l'école à Bourguiba, en somme. Mais, hier, en dehors des chiffres avancés (taux de croissance ; chômage), il marque son désappointement face aux critiques tenant à l'endettement du pays à hauteur de 125 milliards. Cet argument, nous le savons tous, est le cheval de bataille des maximalistes de tout bord. Depuis, Hamma Hammami avec ses lectures trotskistes à reculons (« La Révolution permanente ») jusqu'à Rached Ghannouchi qui affirme que l'endettement est un péché surtout s'il est destiné au tourisme. « Oui, mais, comment faire, demande Caïd Essebsi ». Et la Libye, l'a-t-on oubliée ? Il rappelle, en l'occurrence (et le fait à chaque occasion) que « 900.000 Libyens se sont réfugiés en Tunisie » et que le monde entier salue « l'héroïsme du peuple tunisien »… « Oui, mais les héros sont fatigués », rétorque-t-on. Et cela justifie, à ses yeux, les aides et les crédits dont une grande partie promise n'a pas été déboursée, soit dit, en passant. « On nous accuse de sur-endetter le pays alors que ce gouvernement est provisoire. Soit. Dites-nous comment faire et apprenez-nous à faire du sur-place ! ». Justement ! « Le gouvernement provisoire ». En leader – il se considère comme tel et pourquoi pas, d'ailleurs !- Béji Caïd Essebsi défend son gouvernement avec acharnement. Il affirme même que c'est « le meilleur après le premier gouvernement de Bourguiba, de l'histoire de la Tunisie ». Classique ! Ce sont des gouvernements de transition démocratique qui sont les meilleurs. « A condition, précise-t-il, que ces élections se déroulent effectivement le 23 octobre». A l'évidence c'est son obsession. Son sacerdoce. Son chemin de croix aussi. Les chemins de la vie et de la liberté, dirait Jean Daniel… Même s'il a lâché un pavé pour le 23 octobre : y aura-t-il quelque chose qui l'obligera à rempiler ? En définitive, l'Histoire dira-t-elle que Caïd Essebsi aura été un grand chef d'Etat ? Si elle s'arrange comme d'habitude pour oublier de le faire, les consciences l'interpelleront. Et elle se prononcera.