Avant la révolution, la musique rap fleurissait sur internet. Elle était interdite par le régime totalitaire de Ben Ali. Certains de ses auteurs-compositeurs étaient en prison et d'autres étaient menacés. Rares sont ceux qui, comme Balti par exemple, a pu échapper à la censure et accéder à des scènes de festivals où il faisait toujours complet. Le rap diffusé sous le manteau avait beaucoup d'adeptes auprès des jeunes qui l'appréciaient au plus haut point parce qu'il leur parlait à la place de la classe politique qui était alors sous le coup du silence. Le rap, musique contestataire par excellence dénonçant les injustices sociales, la désinformation, la corruption, les migrations clandestines et d'autres misères sociales, a largement contribué au soulèvement populaire. Les rappeurs ne se comptent pas tant ils sont nombreux, le chiffre avoisine les 10.000. Ils chantent en utilisant un langage populaire proche des jeunes et expriment leurs inquiétudes en diffusant leurs chansons sur Facebook. C'est en disant haut et fort leur mécontentement qu'ils ont participé grandement à la révolution du 14 janvier 2011. Les T-men, Ouled Bled, Brigade Parazits, light Beat, El Général, Bendir man, Guiyto'n, Cracket et beaucoup d'autres, ont aujourd'hui droit de cité et droit au média. Cette musique a émergé dans les années 90 et d'aucuns considèrent qu'elle est la continuité de la musique engagée des années 70. Mais si en ce moment elle est choyée, connaîtra-t-elle le même sort que sa consœur ? Autrement dit, sera-t-elle un phénomène passager surgi à l'occasion d'une situation précise ? Pour que cette musique puisse continuer à exister et surtout à élargir son audience, elle doit bénéficier d'une diffusion plus large dans les médias et les festivals. Ce genre alternatif risque d'être occasionnel du fait de la monotonie et de la redondance de la musique qu'il propose. L'autre jour, à l'occasion de la journée internationale de la femme, l'une des vedettes montantes du rap, Bendir man, s'est produit publiquement dans une salle de la capitale. On s'attendait à une bousculade devant le portique, mais on était surpris par le nombre limité de spectateurs. Que s'est-il donc passé ? L'information n'est pas bien passée ou la scène artistique n'a pas encore repris son cours. On craint que le rap, une fois la révolution faite et que le calme est rétabli, n'a plus grand chose à communiquer. Après tout, cette musique ne peut étendre son auditoire en raison au moins de deux choses : la première est que cette musique n'intéresse pas toutes les tranches d'âge. Les goûts diffèrent selon qu'on est jeune ou plus âgé. Le rap est donc une musique ciblée destinée à un public précis : les jeunes. La deuxième est que ce genre de musique est essentiellement de revendication. Elle s'adresse de manière directe avec des mots choquants à ceux qu'elle dénonce. Elle n'accepte pas les demi-mesures. Elle est par excellence le porte-parole d'une jeunesse perdue sans travail et sans avenir. Pour ceux qui prétendent au divertissement, ils ne peuvent en aucun cas compter sur le rap bien qu'il se décline sous différentes formes : social, politique, caricatural... Le rap informe d'une situation donnée, la critique beaucoup plus qu'il ne fait rêver. Une fois que la stabilité du pays fait son retour, les gens aimeraient entendre autre chose essentiellement de la variété car qu'on le veuille ou pas, la musique c'est une forme de plaisir, elle n'est pas que revendication même si ceux qui la réalisent, les rappeurs, sont très audacieux. Mais s'imposera-t-elle sur le marché et fera-t-elle long feu ?