Il n'y a pas longtemps, les hauts cadres de l'Etat convoitaient certains postes « politiques » au point de tout sacrifier pour les occuper. Parmi les professeurs du supérieur, par exemple, nous en connaissons qui étaient prêts à tout « vendre » pour un portefeuille de ministre ou de secrétaire d'Etat. Il faut dire que dans nos universités, nombreux sont ceux qui se croient « ministrables » et « présidentiables ». Voilà donc arrivé le moment où les rêves de ces ambitieux ont plus de chances de se réaliser. Dans l'ancien régime comme sous Bourguiba, celles-ci étaient en effet, considérablement réduites et dépendaient étroitement des humeurs voire des caprices de nos deux premiers présidents et de leur « cour » nationale et étrangère. Il paraît cependant que la tendance a beaucoup faibli après le 14 janvier 2011 et plus particulièrement suite aux revers essuyés par les deux gouvernements provisoires présidés par Mohamed Ghannouchi. Malmenés, lynchés, vilipendés de toutes parts, harcelés quotidiennement par les revendications multiples des manifestants, devant passer leurs journées à recevoir une foule interminable de gens, à écouter leurs doléances et à se forcer de les satisfaire, les ministres du premier et du deuxième gouvernements provisoires comme leurs collaborateurs ont vu l'enfer durant leur court, leur fugace « mandat ». Le premier ministre, lui-même, ne fut pas épargné par la campagne de dénigrement ni par la pression tuante imposée autour de lui par une large masse de mécontents. Il mérite une médaille de l'endurance et de la persévérance ne serait-ce que pour avoir pu endurer, durant plus d'un mois, un tel calvaire. Damoclès, toujours là ! Les deux premiers mois de la Révolution furent durs, très durs pour les gouverneurs aussi; notamment dans les régions les plus défavorisées du pays. Certains ne purent même pas tenir une journée à leur nouveau poste. Nous faisons ici allusion principalement aux premiers gouverneurs nommés fin janvier. On pense également aux délégués dont personne n'a voulu en février et en mars. Quel camouflet pour ceux d'entre eux qui croyaient bien faire en acceptant la désignation. De toute manière, la période évoquée fut très fertile en « gifles » politiques et administratives. C'est à peine si les cadres de l'Etat n'étaient pas limogés avant même d'être désignés. Sans parler bien sûr de la déferlante « dégage » qui a emporté bien des têtes même dans nos écoles primaires et nos collèges. Est-ce à dire pour autant que la période actuelle est plus clémente pour pareilles « têtes » ? Il est vrai que la vague des limogeages s'est nettement adoucie depuis la nomination de Béji Caid Essebsi à la tête du troisième gouvernement provisoire. Mais l'épée de Damoclès est toujours là qui pourrait s'abattre sur on ne sait quel ministre, quel gouverneur, quel délégué (si tant est qu'il soit possible d'en nommer), quel chef de cabinet, quel maire, quel PDG, quel directeur de lycée et la liste est trop longue. Marcher sur des œufs Aujourd'hui, on voit régulièrement s'affaiblir à l'extrême le nombre des candidats pour ces délicats postes de responsabilité. Alors qu'autrefois on se bousculait même pour un poste de « omda », à présent on redoute comme la peste toute nomination qui vous oblige à marcher sur des œufs ou à jouer le funambule au quotidien. Nous avons personnellement été témoins du supplice de certains cadres qui devaient (et doivent encore), en dépit de la pression de leurs chefs respectifs et celle du nombreux public reçu chaque jour, garder calme et raison. Ces fonctionnaires n'avaient pas droit au congé tant le flux de requêtes submergeait leurs bureaux. L'autre jour, devant le siège du gouvernorat de Tunis, la file d'attente (très désordonnée) angoissait même les passants. Il faut savoir par ailleurs que dans les bureaux de chaque étage l'affluence ne faiblit pas depuis au moins 40 jours. Encore faut-il que la satisfaction des requêtes présentées soit de la compétence du gouverneur ; en effet, ce dernier accomplit désormais son propre travail et supplée d'autres responsables régionaux ou locaux. Il est donc gouverneur-maire, gouverneur-délégué, gouverneur-omda, gouverneur-commissaire, parfois même gouverneur-ministre, gouverneur président ; la fée du logis quoi ! Heureux après-cela qu'on ne lui crie pas depuis le couloir, le hall ou la rue « Dégage ! ». Nous pouvons comprendre qu'il y ait encore des volontaires pour accepter d'affronter tout cela chaque jour. Après tout, c'est un peu cela aussi, la responsabilité patriotique et civile. Mais il doit y avoir une part de masochisme dans leur choix. Faut-il pour autant leur lancer cyniquement : « Bien fait ! » ? Certainement pas, surtout s'ils conservent leur dévouement et leur abnégation du moment au-delà de la période transitoire que vit le pays ! Attendons de voir.