Jamais depuis l'Indépendance nous ne nous sommes sentis aussi Tunisiens et aussi fiers de l'être. Nous nous sommes réappropriés notre pays, dans ses multiples dimensions spatiales, sociales, verbales… l'espoir renaît à nouveau et avec lui la conscience de nos responsabilités à venir. Du coup, les symboles de la Nation et les insignes de la citoyenneté ne sont plus perçus de la même manière. Jamais l'Hymne National n'a été chanté avec autant d'émotion, notre passeport a cessé de nous faire penser à une prison à ciel ouvert, la seule vue de notre drapeau national peut nous donner des larmes… et ce vers du célèbre poète Chebbi n'a jamais sonné aussi juste : Ce processus de réappropriation de ce qu'on pourrait appeler les insignes de la Citoyenneté, est proposé aux artistes comme base de travail pour une prochaine exposition. Comment avec les moyens d'expression qui sont les leurs, les artistes, peuvent-ils penser/panser ces multiples supports d'une identité en gestation, et donner à voir avec leurs outils propres, ces nouvelles marques d'appartenance ? Voilà comment Aïcha Filali introduit cette exposition d'arts plastiques tenue depuis quelque temps à la galerie Ammar Farhat à Sidi Bou Saïd. L'exposition en elle-même, apparemment incongrue est en fait très riche et annonce peut être une nouvelle étape de l'art pictural dans notre pays… L'autre caractéristique de cette exposition se situe au niveau de la participation de nombreux artistes intellectuels se mouvant dans les pratiques conceptuelles de l'art. Il faudrait également remarquer que cette exposition marque l'intrusion du politique dans l'art, d'une manière très manifeste. Nous n'avons jamais vu autant de chapeaux tunisiens que dans cette exposition. Signe des temps !! Nous retrouvons au niveau de la participation des artistes les noms d'artistes intellectuels comme Aïcha Filali, Nadia Jelassi, Imed Jmaïl, Halim Karabibène…Ridha Ben Arab, Hela Lamine et d'autres encore dont Rym Karoui ou Md Ben Soltane. Evidemment, des artistes connues comme Feriel Lakhdar, Asma Mnaouer maintiennent leur démarche plastique tout en essayant de lui faire subir une contorsion vers l'expression de l'événementiel ! Parmi les travaux qui attirent l'attention il faudrait citer les travaux de Nadia Jelassi, Halim Karabibène et Hichem Driss ainsi que ceux d'Insaf Saâda (les médailles) qui se situent presque tous au niveau de la dérision et de la dénonciation de situation paradoxale, voire quelquefois hypocrite développée avant la « Révolution » mais aussi pendant la Révolution. Nadia Jelassi semble revenir à son thème favori des chaises qui gardent ici leurs assises et jouent à se bousculer pour recevoir les candidats, en ces jours révolutionnaires aux postes laissés vacants par les anciens maîtres du jeu politique. Nadia dénonce calmement cette course au pouvoir et cette ruée des nouveaux révolutionnaires frais émoulus pour prendre les rênes du pays. Heureusement que les chaises de Nadia sont en miniature… A bon entendeur salut !! Hichem Driss dénonce lui aussi la pudibonderie du voile qui n'arrive pas à cacher la poitrine généreuse d'une femme à la tenue légère et suggestive. Le voile peut être.. érotique. Karabibène montre un soldat ou peut être un gardien, un gardien de son musée imaginaire, dont la tête est couverte d'une marmite. Que peut voir un gardien quand il a la tête couverte. Rien ! Karabibène voit peut être, une des absurdités des choses de la vie. Aïcha Filali, Imed Jmaïl, Hela Lamine sont plus « positifs». C'est ainsi que Aïda salue toute la Tunisie. La Tunisie du bleu de travail, du tourisme, de l'artisanat du crochet et de la dentelle. La Tunisie est belle et elle est saluée par Aïcha dans une ferveur enthousiaste. Imed Jamaïl revendique pour tout le monde le droit à la couleur… à l'art. Il fait animer la Tunisie du Nord comme celle du Sud de multiples venelles de lignes et de couleurs. La Tunisie pourrait devenir belle ! Mohamed Ben Slama plus concret vomit la situation faite à notre pays et place très haut la Nejma « wa » hlal. Belle expression d'un patriotisme sans faille ! Cette exposition, comme celle d'Omar Bey ou celles à venir demain dans l'effervescence actuelle, annoncent-elles un nouvel itinéraire dans le mouvement pictural en Tunisie ? En tous les cas, nous ne retrouvons plus ici des travaux, sauf rarement, faisant ressortir la belle ordonnance et l'unité des œuvres d'art à référence orientalisante ou même abstraite. L'identité revendiquée, l'authenticité des figures de la Médina, de son architecture ou de ses modes culturels des arabesques ou de la calligraphie laissent pour le moment la place à la recherche d'une identité politique à la revendication de la citoyenneté. Au niveau de l'art, il y a comme une gestation d'une œuvre à venir qui ne cherche pas l'esthétique tranquille et la beauté sans faille des combinatoires mais qui annoncera les traits essentiels des linéaments d'un art moderne et contemporain chantant la liberté de création d'un homme enfin… citoyen et libre… Houcine Tlili