Malgré la peur qui régnait sur la ville, les inconditionnels de la Pietra et les férus de la danse, ont pris leur courage à deux mains pour venir assister au Théâtre municipal à la nouvelle création chorégraphique de leur star, la plus courue dans le monde. La Pietra a fait des merveilles au cours de ce solo « La tentation d'Eve » qui résume l'histoire de la femme au siècle dernier. Les tableaux successifs, qui composent le spectacle, donnent à voir la femme sous de multiples facettes à travers les différentes expressions artistiques comme le théâtre, le mime, la poésie, la marionnette et bien sûr, la danse. D'emblée, trois masques du théâtre antique ornent le haut de la scène. La danseuse-chorégraphe avance lentement poussant une immense pomme rouge, incarnant Eve. Elle quitte ce paradis et entreprend un voyage à travers les époques. Elle révèle les multiples identités de la femme en revêtant plusieurs costumes caractérisant chacune de ces époques. De la mythologie grecque à nos jours en passant par le moyen-âge, la renaissance, le baroque, le romantisme, l'après guerre etc., le corps de la femme est confronté aux codes sociaux et aux mutations de la société. « La tentation d'Eve » joue et se joue des codes du théâtre et de la danse. Femme guerrière, courtisane, cantatrice ou maîtresse de maison, libérée ou pas, elle représente l'image de la femme telle qu'elle apparaît dans certaines œuvres artistiques standardisées. Andrée Chedid, Marianne Favreau, Barbara, Marcelline Desbordes-Valmore, le théâtre de Molière et de Mouchkine, les comédies américaines des années 50 de Howard Howaks et des morceaux de musique d'hier et d'aujourd'hui font partie du programme de ce voyage chorégraphique de grande qualité. Pietragalla réussit à camper avec bonheur tous les registres de la femme soumise ou libérée, manipulée ou manipulatrice, muse ou créatrice, mère ou maîtresse, drôle ou tragique, hystérique ou épanouie. C'est une sorte de one woman show dans lequel la danseuse s'éclate et donne libre cours à ses gestes et même aux paroles pour raconter l'histoire de l'éternel féminin qui est aussi le sien. On sent la passion sans limite qu'elle a pour la danse et les mouvements qu'elle sert en fonction des situations en parodiant tel ou tel type de danse. Pietragalla a su répartir son énergie et garder son souffle durant plus d'une heure grâce à sa longue expérience en tant que danseuse maîtrisant les différents genres. Mais si elle arrive à séduire le public, c'est parce qu'elle est charismatique, pleine d'audace et de sincérité. Sa présence sur scène est magnétique. Par un seul geste, elle fait basculer toutes les idées reçues sur la danse en faisant par exemple appel à une marionnette qu'elle fait danser. Moment émouvant que celui où allongée et presque figée, elle fait danser habilement la marionnette signifiant par là, à la fois la voix intérieure de la femme et de la mère. Dans un autre moment absolument magnifique, elle ondule des bras sur la musique de la « Mort du cygne », clin d'œil discret et fort à son passé de danseuse classique. L'artiste fait également preuve de beaucoup d'humour dans la scène de la cantatrice-ménagère même si elle renvoie à quelques clichés. Ce tableau un peu long aurait pu être raccourci pour donner plus de punch à l'ensemble. Enfin, le spectacle se termine par un dernier tableau qui renvoie au premier et résume l'évolution de la femme à travers le temps. Une image de la femme moderne poussant lentement la pomme d'Eve. C'est la fin de la prestation. Le public comblé et fasciné réserve à l'artiste une longue ovation. « C'est le meilleur spectacle après la révolution », commente une spectatrice à la sortie du théâtre. Que veut le peuple !