De notre envoyé spécial : Ikbal Zalila - Om Reda veille sur une tribu de sept enfants dans un quartier populeux du Caire, dont trois filles danseuses, Amira la droguée, Boussy la surdouée et Hind quinze ans qui vient de la quitter pour aller s'installer chez son père. Om Reda a de très beaux yeux bleus qui en disent long sur la belle femme et la danseuse qu'elle a été. A plus de quarante-deux ans, elle attend son huitième enfant. C'est cet univers de femmes, de danse, mais aussi de marginalité que va explorer la caméra d'Isabelle Lavigne et de Stépahne Thibault, pour nous gratifier avec «La nuit elles dansent», l'un des films les plus poignants d'une quinzaine plutôt terne à l'image de l'ensemble de l'édition de cette année. Om Reda veille au grain sur son écurie, couvrant et couvant ses filles, les rappelant à l'ordre, concluant les contrats tout en s'opposant à sa vieille mère qui l'accuse de faire l'entremetteuse. Les filles d'Om reda, sont nées dans la danse, elles se livrent à ce métier sans trop se poser de questions, elles dorment le matin, se réveillent la nuit pour aller gagner leur pain quotidien. Tout ça le plus naturellement du monde, sans états d'âme. Il y a bien sûr la rue, les hommes, la violence qui sourd mais tel n'est pas le propos d'Isabelle Lavigne et de Stéaphane Thibault. Sans compassion, ni misérabilisme, Les deux réalisateurs canadiens arrivent avec bonheur à faire oublier leur caméra et à s'immiscer dans l'intimité de ces femmes, imprimant à la parole filmée une énergie et une spontanéité contagieuses pour le spectateur qui progressivement va s'attacher à ces personnages. Paradoxalement, cette proximité ne se traduit pas par une empathie qui aurait fait basculer le documentaire dans le pathos. Si la parole est aussi bien filmée, c'est qu'elle est constamment mise en situation, il n' y a pas d'interviews classiques dans « La nuit elles dansent » ; les filles parlent en se maquillant , sur la route du travail. La présence de la caméra ne fait par ailleurs pas tellement impression sur Om Reda et ses filles, habituées de par leur travail à être constamment en représentation. Le risque de voir ces deux réalisateurs étrangers à la réalité égyptienne se faire complétement phagocyter par un personnage aussi fort que Om Réda, à la fois mère courage, manipulatrice, dure en affaires et par moments sans états d'âme, est évité. Stéphanie Lavigne et son acolyte gardent cette juste distance indispensable à la réflexion et au fondement de tout bon documentaire. Ces femmes ont une vie dure, mais ce ne sont pas des martyres. Elles ont choisi cette vie, initiées en cela par une mère laquelle a elle-même hérité ce métier de sa mère. Etre danseuse de seconde zone, n'est pas exempt de dangers, mais Om Reda et ses filles assument leur statut et l'image de quasi prostituées qui leur est accolée. Les hommes qui gravitent autour de cette tribu de femmes sont faibles et effacés, ils sont des intermédiaires, vulnérables et interchangeables dans la chaîne qui mène du client à la marchandise constituée par les filles. Sans protecteur, ni rabatteur, Om Reda et ses filles vivent leur féminité en toute liberté faisant fi de tout préjugé.