Au début des années 50, la scène artistique a assisté à l'apparition d'une star juive tunisienne découverte par le grand musicien Mohamed Triki. Baptisée par sa mère, l'artiste Flifla, «Hanouna», et par sa tante, «Nounou», elle savait parfaitement lire et écrire en arabe, ce qui était rare pour une citoyenne juive. J'ai fréquenté cette artiste à la voix dorée au début de ma carrière journalistique, de parolier et d'animateur de galas et de concerts publics. Outre ses dons artistiques, Hana Rached a été gâtée par la nature, par un visage de star de cinéma. Sa mère était aussi une artiste Sa mère Flifla était chanteuse, danseuse et actrice de cinéma. Elle a joué au premier long métrage tunisien muet Majnoun El Kairouane (Le fou de Kairouan), aux côtés de Mohieddine M'rad, dans une réalisation du Français Jacques Creusy. Beyram Ettounsi, qui a vécu cette période en Tunisie, a dit de Flifla sur son journal Achababe (La jeunesse) : «Les danseuses en Tunisie sont au nombre de quatre : la première reste incontestablement Flifla, venue au monde pour danser…» Votre serviteur a, d'ailleurs, connu Flifla en personne. Elle était alors au crépuscule de sa vie et tenait une salle de jeux à l'avenue de la Liberté, à côté du cinéma Le Marivaux. Un héritage artistique Les tantes de Hana Rached étaient également artistes : Bahia Echamia était l'une des plus grandes chanteuses de son époque, Ratiba Echamia, née à Alep, en Syrie, débarquée à Tunis avec ses parents à l'âge de trois ou quatre ans, a enregistré plusieurs disques. Elle était morte à Paris. Baignant dans ce milieu familial artistique, Hana Rached était naturellement une prédestinée. Sa mère voulait en faire une chanteuse. Ce que Hana commencera de faire dès sa plus jeune enfance quand elle s'exhibait dans les fêtes familiales. Car elle avait vraiment de qui tenir ! La première fois où Hana Rached s'est produite en public, c'était le 26 mai 1951 lorsqu'elle reprit une chanson écrite par le poète Ahmed Kheïreddine et composée par Mohamed Triki, Dhaâ essabr (plus de patience). Et c'est donc le tandem Kheïreddine-Triki qui allait veiller à la naissance de la nouvelle star. Et c'est ainsi que le premier succès de Hana lui sera garanti par la chanson Ya rakbine el khil kouloul Hawa (Ô cavaliers, dites à Eve !), paroles de Abderrazak Karabaka, composition de Mohamed Triki, ce dernier lui écrira et composera en même temps un nouveau grand succès Fellil wedhlame (Dans la nuit obscure). Hana Rached était une compositrice inspirée, ce qu'elle fit sur les paroles de Ahmed Kheïreddine : Ya hajira Ya mlaïa lekbida (tu t'en vas et tu tortures mon âme) et Ya nakra lémawada (Ô ingrate, oublieuse de notre amitié). La première chanson qu'elle composa, en fait, a été Nenched qalbi alach inhébek (J'interroge mon cœur pourquoi il t'aime) sur des paroles de Ahmed Kheïreddine, son inséparable mentor et compagnon de route, qui n'a pas néanmoins été le seul à lui écrire. Ce privilège revenant tout autant à Naceur Bouaziz, par exemple, auteur de Damaï fi ini ihtar (mes larmes dans mes yeux se torturaient), qu'elle prit soin de composer par elle-même. Chanteuse, mais aussi actrice talentueuse Durant sa belle carrière, la fille de Flifla eut un père spirituel, le doyen des compositeurs, Mohamed Triki. Vinrent par la suite pour accompagner son parcours qui lui valut une solide réputation : Hédi Jouini, puis l'Egyptien Abdelaziz Mohamed, lequel débarqua à la radio tunisienne et fit apprendre à un grand nombre parmi nos artistes des «mouachahat». Justement, Hana figurait parmi ces artistes, la splendide interprète de «Ya nakra lemwada» allait s'essayer au théâtre. Et ce sont d'abord sa mère Flifla, ensuite Ali Riahi qui l'amenèrent sur les planches des salles de théâtre. A sept ans déjà, elle eut la chance de se produire au Théâtre municipal avec la troupe de son école. Mais c'est en 1954 qu'elle allait effectuer ses grands débuts au 4e art. L'homme de théâtre égyptien Zaki Toulaïmet, qui assurait la direction artistique de la Troupe de la ville de Tunis, l'avait retenue parmi l'équipe de comédiens. Hana Rached interprétera ainsi la pièce «Le marchand de Venise» de William Shakespeare dans une mise en scène de Zaki Toulaïmet. La pièce est jouée les 3 et 4 avril 1954. On pouvait trouver à ses côtés : Zaki Toulaïmet lui-même dont parlera Hédi Laâbidi sur les colonnes d'Assabah en ces termes : «Sa réalisation met en œuvre les techniques les plus modernes. Car, si l'on doit évoquer son interprétation, on doit convenir qu'il avait réussi beaucoup mieux dans des personnages passés à la postérité». Tawfik Abdelli, Hédi Semlali et l'Egyptienne Amina Noureddine avaient également prêté leur concours dans cette pièce théâtrale. A la radio, Hana participa à la série Mille et Une Nuits réalisée par l'Egyptien Kamel Baraket qui passait sur antenne chaque mercredi. Y jouaient Mohamed Hédi et Najoua Ikram, la plus belle voix féminine radiophonique. Hana Rached savait lire et écrire en arabe, en plus de sa parfaite maîtrise du français et de l'anglais. D'ailleurs, les auditeurs les moins jeunes doivent sans doute se rappeler de sa parfaite diction en arabe littéraire. Hana accompagnait Ali Riahi au Casino de Tunis dans les soirées ramadanesques. Mustapha Kamel, grand artiste, chanteur, compositeur et luthiste, et la charmante danseuse Nouzha Amir se produisaient au cours de ces soirées. Hana Rached a pris l'habitude de reprendre la chanson de Sabah, Alaki yazek ya Ali. Puis venait le tour de Ali Riahi qui entrait sur scène tout fier que l'on ait chanté pour lui (Ya Ali) à travers la voix d'une artiste aussi charmante. Avant de s'installer aux Etats-Unis, notre artiste a élu domicile dans une villa à Ariana Al Jadida.