La Tunisie vit un temps révolutionnaire avec tout ce que le terme sous-entend d'exaltation, de défaites provisoires, de petites victoires sur l'oppression. Le plus dur est devant nous, à savoir l'édification d'une Tunisie pour tous, juste et équitable, affranchie de ses pires atavismes, résolument moderne et réconciliée avec son Histoire. Les questions de représentation de la Révolution constituent des enjeux politiques et esthétiques cruciaux. La rupture avec l'ancien régime se mesure aussi à la faculté de rompre avec sa symbolique politique laquelle aura finalement très peu évolué depuis Bourguiba. De Bourguiba à Ben Ali, le lexique politique officiel s'est enrichi de quelques expressions mais est resté structurellement le même dans les médias officiels. En se limitant à perpétuer les mises en scène Bourguibiennes du pouvoir focalisées sur la figure et le corps de « l'acteur du changement », les conseillers en communication de Ben Ali ont consacré la continuité entre les deux régimes alors que le 7 Novembre se présentait comme une rupture avec l'Etat de l'indépendance. Ce faisant, la communication du pouvoir a continué à se décliner sous le seul versant d'une propagande devenue anachronique et totalement en porte à faux avec l'opinion publique. Ces mises en scène qui pouvaient par moments prendre avec Bourguiba du fait de son charisme incontestable, de ses qualités de tribun hors-pair ont lamentablement échoué avec Ben Ali otage de son prompteur, incapable d'improviser deux phrases et fuyant dès les premières années de son règne, tout contact avec les foules. Sur le plan de la symbolique politique, Bourguiba restera le modèle grâce à sa propension naturelle à incarner le pouvoir. L'erreur des propagandistes de Ben Ali aura été de vouloir faire de lui sur le plan de la représentation politique, un second Bourguiba. Ce qu'il n'est pas et ne sera jamais. Si les mises en scène du politique ont quelques chances de prendre, c'est à la condition d'être servies par un grand acteur. Bourguiba l'était foncièrement, Ben Ali pas du tout. Le moment révolutionnaire aujourd'hui voudrait que la communication du pouvoir prenne définitivement ses distances avec la propagande des deux Présidents qui se sont succédé à la tête de la Tunisie. Cette rupture est d'autant plus urgente qu'elle correspond à un besoin de respect et de dignité éprouvé par tous les Tunisiens de ne plus avoir à être insultés dans leur intelligence par une communication politique qui les infantilise. Le travail entrepris par les journaux télévisés, en dépit des efforts laisse encore à désirer faute de professionnalisme mais aussi il nous semble en raison de la difficulté qu'éprouve la télévision à effectuer sa mue, à se représenter autrement qu'en tant que porte-voix des pouvoirs établis. Il serait bien entendu irréaliste de prétendre à une métamorphose en si peu de temps, mais dangereux pour les décideurs de la télévision de ne pas se remettre en question et de continuer à tâtons à chercher à changer. C'est à cette condition pour la télévision de remettre totalement à plat et en toute liberté ce qui a été son unique manière de fonctionner qu'une vraie rupture indispensable avec l'ordre ancien peut devenir palpable.