Après Julio Cortázar, Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, Ernesto Sábato est le quatrième et dernier géant de la littérature argentine du XX° siècle qui disparaît. S'il leur a survécu de plusieurs décennies, Sábato avait arrêté d'écrire à la fin des années 90 et n'avait plus d'activité publique. Comme si la cécité qui l'avait atteint, la maladie qui le rongeait et le chagrin causé par la perte de son épouse avaient en quelque sorte marqué le temps auquel il appartenait. Plus encore que les trois autres grands auxquels on le comparait, Ernesto Sábato était un homme de son siècle, le XX°, dont il a vécu les aventures, épousé les combats et souffert les tourments. Il a toujours été un intellectuel engagé. Etudiant à l'université de Sciences de La Plata, il milite dans les rangs communistes. Délégué international du PC argentin, il exprime rapidement des doutes sur le système soviétique et c'est à la veille d'un voyage à Moscou en 1935, qu'il rompt, bien avant d'autres, avec le communisme. Docteur en physique, Sábato travaille ensuite à l'Institut Curie à Paris, où il se lie aux surréalistes et devient l'ami d'André Breton. Après un passage aux Etats-Unis, il rentre en Argentine dans les années 40 et abandonne définitivement la recherche, à son goût trop éloignée des réalités du monde, pour s'adonner à ses deux passions, la littérature et la peinture. Mais il garde dans sa pensée et ses analyses une rigueur toute scientifique qui fait remarquer les essais et articles, empreints d'un profond humanisme, avec lesquels il contribue aux débats politiques de son pays. Paradoxalement, son œuvre littéraire au sens propre est limitée. Pour l'essentiel, elle se résume en une trilogie qui s'ouvre avec Le tunnel, roman d'un existentialisme très noir, publié en 1948 et remarqué par Albert Camus qui le fait traduire en français. Suivront Alexandra (dont le titre en espagnol est « Sur de héros et des tombes ») en 1961, qui a un grand retentissement international, et Abbadon l'exterminateur en 1974. Proche du parti radical et méfiant à l'égard du péronisme sans entrer pour autant en politique, Ernesto Sábato conserve son indépendance et devient au fil des ans, une référence morale en Argentine.