Tous les criminels sont égaux devant la justice, sauf qu'il y a des criminels plus égaux* que d'autres. Un postulat cocasse, mais vraisemblable et parfaitement applicable à la myopie délibérée de notre justice, jadis asservie à l'exécutif mais qui ne sait quoi faire de ce « statut indépendant » qui lui court pourtant après. Ainsi, donc, cette « nébuleuse », pourtant omni-présente super-médiatisée de Saïda Agrebi, aurait quitté le territoire parce que les juges sont peu nombreux (à peine 1800), que la requête adressée au procureur par le ministère des Finances faisait partie des dossiers qui s'entassaient au parquet ; et que la refonte morale de la justice requiert du temps, de l'argent (oui toujours de l'argent) et une étude cas par cas ! Pour autant on en est encore à évoquer des questions structurelles au sein du ministère même, alors que le gouvernement affirme n'avoir aucun droit de s'immiscer dans les affaires de la justice – redevenue souveraine comme par miracle le 14 janvier ; et d'ailleurs, l'a-t-elle jamais été ! – Pis : le ministre de la Justice se détache et, mine de rien, il déclare s'interdire d'intervenir dans les dossiers en instruction. Néjib Maâoui joue à l'homme qui aurait tout su si on lui avait intimé l'ordre de tout savoir. Et, dit-il, il aurait réagi. Mais c'est en homme carrément lâché qu'il parle dans sa conférence de presse avec un besoin de répéter à l'envi (parlant de lui à la troisième personne) que c'est un homme intègre. On n'en est pas là, de toutes façons. Et c'est là que l'après-Révolution offre le choc des icônes : le juge, accusé de bavure et le colonel rebelle. Néjib Maâoui et Samir Tarhouni auront occupé les devants de la scène, en effet. Ça a commencé avec le colonel téméraire qui, un peu à la Mc Arthur ou à la Patton, prend une décision historique, jurant par tous ses dieux qu'il n'en avait pas reçu l'ordre et se ravisant de tout dire maintenant. Mais pourquoi maintenant ? A l'évidence, la guerre des brigades – comme on l'appelle communément – bat son plein au sein du ministère de l'Intérieur. Les officiers super-entraînés de la BAT sont dépités de ce que l'on dise que c'est l'armée qui a tout fait. Laissons, donc, Samir Tarhouni parler aux Tunisiens. Les dissensions sont-elles pour autant transcendées ? Pas évident. Car, en plus, c'est mal parti entre le ministère de la Justice et celui de l'Intérieur. La Haute Instance a la prétention de pouvoir arrondir les angles et sortant de sa torpeur, elle manifeste des soubresauts rédempteurs. L'ennui c'est que, en garante de la Révolution, elle n'a jamais rien proposé de réellement constructif. Elle connaît et tout le monde connaît, les foyers de la corruption et du népotisme. Il faut tout simplement y aller. Mais, si rien ne s'est fait c'est aussi de sa faute : les questions politiques tournant toutes autour de « l'indignité » et des « indignes » distillaient un message dangereux : « Pendez les haut et court »… Avec de tels slogans, avec une telle approche, avec les héros pré-fabriqués et les indignes post-fabriqués de la Révolution, en plus de l'effritement des institutions, de la sauvagerie sociale, l'absence de sécurité et le sur-place des partis politiques (Ennahdha, elle-même, a rappelé ses troupes), il est à craindre que la sortie de crise ne soit pas politique et consensuelle. Raouf KHALSI * Paraphrase de George Orwells qui écrit dans son livre « La ferme des animaux » : tous les animaux sont égaux, mais il y a des animaux plus égaux que d'autres.