La plupart des pays composant l'espace arabe étaient à une époque donnée de l'histoire dépendants de la porte sublime. C'est la première Grande-guerre qui mit fin à ce lien entre l'Empire Ottoman et ses dépendances territoriales. L'Empire lui-même disparût et avec lui le Califat. L'époque « glorieuse » de cet empire est loin d'avoir disparu de chez beaucoup de nostalgiques qui caressent l'espoir de voir renaître le Califat qui réunirait sous sa bannière l'espace où vivent des populations de confession musulmane. L'arrivée au pouvoir en Turquie des conservateurs islamistes n'était pas pour déplaire à ces nostalgiques d'autant que les nouveaux maîtres d'Ankara ont procédé depuis leur arrivée au pouvoir à une sorte de rééquilibrage dans leurs relations avec leur voisinage avec une ouverture franche et sans doute intéressée sur l'Orient. Déçue par les atermoiements de l'U.E à son égard, Ankara au sujet de son adhésion, a décidé de se tourner vers cet autre espace que les différents gouvernements turcs ont ignoré depuis la révolution kémaliste. Ouverture intéressée ! Le Premier ministre turc Erdogan a fait montre, surtout depuis l'entame de son second mandat (il est à son troisième) d'un pragmatisme sans précédent dans la mise en place d'une nouvelle politique à l'égard des voisins sud de son pays, s'attirant parfois le courroux de son allié américain qui voyait d'un mauvais œil cette orientation qui pourrait à la longue nuire aux rapports stratégiques noués entre la Turquie et Israël l'allié choyé de l'Occident. Mais cette attitude occidentale critique à l'égard d'Ankara est mise aujourd'hui en sourdine pour prendre sa place une franche accointance de vue sur ce qui se passe dans les pays arabes du bassin méditerranéen. Certes les visées des capitales occidentales ne sont pas celles d'Ankara, mais dans l'état où en est la situation, en Libye et en Syrie notamment, elle exige que l'on soit d'accord sur la démarche à suivre envers les régimes de ces deux pays. Pourtant au départ la diplomatie turque avait pris ses distances à l'égard des Etats-Unis et ses alliés européens. Mais un revirement total s'est amorcé depuis que les dirigeants turcs ont senti qu'en cas de changement à Tripoli et à Damas, leur pays risque d'être écarté de la nouvelle configuration que pourrait prendre la région aussi bien sur le plan politique que d'un point de vue purement mercantile avec les marchés juteux qui seront ceux de la reconstruction. La rivalité entre les capitales occidentales et Ankara est certaine mais elle est en latence. Toutefois pour la Turquie outre les intérêts politique et économique, c'est surtout au niveau idéologique qu'elle cherche à marquer les changements qui s'opèrent dans nombre des pays arabes, y compris la Tunisie. Les islamistes au pouvoir en Turquie caressent l'espoir – et ils agissent en conséquence- de voir naître un espace aussi large que possible où l'idéologie prédominante sera d'inspiration religieuse où l'A.K.P sera l'élément moteur pour la promotion d'un mouvement qui regroupera autour de lui les partis de la mouvance islamiste. Plusieurs de ces partis se font d'ailleurs comparer à celui de M. Erdogan pour en quelque sorte prouver leur attachement aux valeurs démocratiques et leur respect à Ennahdha en Tunisie tente tant bien que mal de se faire accepter comme tel, mais elle est souvent trahie par les déclarations de ses dirigeants qui prouvent tout le contraire de ce qu'ils prétendent. Un grand mouvement islamiste ! Si les dirigeants turcs s'agitent sans relâche ces derniers mois, c'est par ce qu'ils estiment qu'une telle opportunité ne se représentera pas une seconde fois si elle n'est pas saisie en ce moment même où plusieurs pays de la rive-sud de la Méditerranée sont à la recherche de leur voie. L'A.K.P au pouvoir à Ankara et à sa tête le Premier ministre, multiplient ses dernières semaines les déclarations souvent musclées notamment à l'égard de Damas et les dirigeants syriens, ne s'embarrassant nullement d'une ingérence qui ne manque pas d'interpeller sur les desseins de la Turquie dans la région. L'ambition de ce pays de redessiner la carte géopolitique de la région ne fait plus le moindre doute d'autant que dans ses pays des partis partageant l'idéologie de l'A.K.P constituent des alliés sûrs sur qui on peut compter le moment venu. Or ces calculs doivent tenir compte de l'attitude future de l'Occident qui s'il laisse faire la Turquie c'est parce que cela ne risque pas pour le moment de contrarier sa stratégie de tout chambouler dans la région pour ensuite on redessine la carte. Et cette dernière ne sera pas forcément assurément dont rêvent les dirigeants islamistes au pouvoir en Turquie qui risquent de le vérifier à leurs dépens, car jamais l'Occident n'acceptera l'émergence d'une puissance pouvant un jour se mettre aux travers de ses plans et de ceux de son allié israélien. Le Califat n'est pas pour aussitôt et les dirigeants turcs et leurs alliés idéologiques doivent bien le méditer.