Par Khaled GUEZMIR - L'échiquier politique en Tunisie post-révolutionnaire commence à prendre force et c'est tant mieux, car comme nous allons le voir, il faut de tout pour faire un monde et surtout une démocratie ! Pour une fois la pratique politique prend le dessus sur les textes du fait de la suppression de la Constitution de 1959 d'abord matériellement puisqu'elle a été abrogée, et de sa « disqualification » morale du fait qu'en l'espace de trente trois ans de pouvoir patriarcal, mais autoritaire, de Bourguiba, elle aura enfanté un régime totalitaire et corrompu le 7 novembre 1987. La conséquence c'est que le corps social qui, comme la nature, a horreur du vide, a sécrété des éléments immunitaires pour assurer la stabilité du système politique global au sens du grand penseur politique américain et père de l'analyse systémique, David Easton, qui ne limite pas le système aux institutions mais à l'environnement social dans son ensemble. L'armée Pour ma part et j'espère ne pas trop vous étonner et dans ce cas je sollicite votre indulgence, les deux éléments immunitaires stabilisateurs qui ont émergé en 2011 sont l'armée et l'UGTT. Je m'explique. L'armée par sa neutralité et le sens très républicain de ces hauts cadres et officiers, formés, presque tous dans les meilleures écoles de guerre et académies militaires de l'Occident surtout en France et aux Etats-Unis d'Amérique, a démontré par sa position historique et son refus des ordres de tuer le peuple avant et après le 14 janvier 2011, qu'elle a et aura vocation à l'avenir de consolider le fonctionnement du système politique en se basant sur la légitimité d'un côté mais aussi sur l'éthique et la morale du bon gouvernement, celui qui a vocation de servir l'intérêt général. Nous sommes bien loin bien sûr et Dieu merci, du modèle syrien, où l'armée est beaucoup plus une milice du pouvoir en place qu'une institution républicaine D'où cette répression aveugle, du jamais vu de mémoire d'hommes, parce que justement avec la télévision d'aujourd'hui les peuples ont des yeux ! Quant à prévoir un glissement vers le modèle Turc d'avant Erdogan, où l'armée est la garante de la laïcité de l'Etat et la séparation du politique et du religieux seul l'avenir nous le dira. Pour ma part je donne très peu de probabilité et de crédibilité à cette thèse parce que l'Islam, en Tunisie n'a jamais été un « Califat » et que notre islam a toujours été sunnite spécifique et modéré. L'UGTT et UTICA J'en arrive maintenant à l'autre vecteur de la sédimentation sociale : le mouvement syndical et surtout l'UGTT. Je ne veux pas me situer dans la polémique qui entoure la direction de la centrale syndicale en ce moment, bien que j'estime à titre personnel, qu'elle ait joué un grand rôle dans la Révolution au niveau de l'encadrement de l'aboutissement et du maintien malgré quelques dérapages mineurs, de la paix sociale. l'UGTT a bien joué son rôle de courroie de transmission et d'apaisement de la revendication et des conflits sociaux, malgré les apparences et les critiques sévères mais injustifiées du monde patronal. Je n'irai pas jusqu'à leur proposer « l'aisance modeste » d'Aristote c'est trop peu pour eux, mais au moins de revenir à la base même de la sagesse musulmane « Al Kanâatou… kenzon la yafna » (Le contentement modeste c'est le meilleur des trésors). L'UGTT assume aussi la vocation de protéger « la modernisation » qui a toujours caractérisé la Tunisie depuis Ahmed Bey et Khereddine Pacha Attounsi au 19e siècle. Elle l'a fait avec Bourguiba et doit pouvoir le faire même avec la montée d'Ennahdha dont une bonne partie se déclare « moderniste », et libérale. Ainsi nous voyons que ces deux pôles à savoir l'armée et l'UGTT qui sont des forces « majeures » peuvent aussi être des contre pouvoirs à l'absolutisme à l'extrémisme et l'obscurantisme, le tout civilement … Bien sûr ! Bon appétit !