Décidément cette majorité, silencieuse et libérale est bien capricieuse puisqu'elle est de plus en plus sollicitée par les pouvoirs publics « provisoires » pour donner de la voix et venir au secours et de la politique et surtout de l'économie pratiquement asphyxiée. Après M. Mohamed Ghannouchi qui l'a fait bien tardivement, c'est au tour de M. Béji Caïd Essebsi plus bagarreur d'alerter cette « communauté » bien large en nombre, mais installée dans un attentisme réfractaire et immobile. C'est comme si elle voulait nous rappeler l'adage de la prudente sagesse populaire « Wal jouloussou ala arrabwati aslamou » (restez en haut de la colline pour voir venir avant d'agir). Mais alors pourquoi cet immobilisme au moment où le pays a si besoin d'engagement participatif raisonnable et citoyen. Les seules formations à occuper les médias et la scène de fermentation politique sont celles qui ont été aguerries par quelques décennies de répression aveugle du dictateur. La prison et l'exil leur ont donné en plus de la légitimité une structuration efficace et une volonté d'être et de puissance. Il faut peut-être revenir à deux grands penseurs doctrinaires sur les élites et le pouvoir : l'Italien Wilfrido Pareto (cf. traité de sociologie) et l'Américain Wright Mills (cf. Elits and power) pour comprendre ce phénomène qui n'est pas spécifique à la Tunisie mais bien universel. La combinaison de ces deux auteurs importants nous donne certaines « recettes » utiles au commandement politique qui doit répondre aux attentes des « majorités » populaires et citoyennes, qui veulent vivre en paix et en sécurité et développer librement leurs activités économiques et de production loin des contraintes des systèmes prétoriens autoritaires d'une part, et de l'anarchie de la rue d'autre part. Depuis la nuit des temps cette « humanité » qui constitue la multitude des faibles et des plus vulnérables parmi les hommes, a été terrorisée par deux formes de surpouvoir autoritaire et même dictatorial : Les Seigneurs armés qui gouvernent, d'une part et la « Rue » qui se soulève, et qui en voulant briser le joug de la Tyrannie finit par s'approprier, l'espace commun public par l'arrogance et la violence. Toutes les théories s'accordent pour dire que la construction démocratique après les destructurations opérées par les changements révolutionnaires, ne peut se faire qu'avec le retour à la paix sociale. Par ailleurs, l'édification du système démocratique basé sur la participation la plus large et la mise en place des institutions plurielles et des pouvoirs séparés, a besoin de mobilisation certes par les organisations de masse (les Partis), mais aussi et surtout d'encadrement et de discipline individuelle et collective. Seul le passage de l'anarchie post-révolutionnaire à l'Etat de droit, à la sûreté, et à un minimum de stabilité sociale permet l'accomplissement de l'œuvre démocratique. Par ailleurs les changements politiques imposés par la violence et l'agressivité de la rue ne peuvent que mener à de nouveaux totalitarismes. C'est l'Histoire qui le prouve ! Pour revenir à notre pays la destruction du régime dictatorial de Ben Ali était une « exigence » populaire pressante et unanime à l'exception des quelques familles mafieuses qui ont profité du système pour s'approprier l'Etat et l'économie. La révolution tunisienne s'en est chargée dans la ferveur et l'enthousiasme portés par le sacrifice des jeunes et les espoirs de tout un peuple à l'unisson. Mais une fois le carcan de l'ancien régime brisé, les défis et les ambitions se sont « cristallisés » pour ne pas dire différenciés. Et à chacun ses matériaux. Les uns sont revenus au vieux cheval de la « lutte des classes » pour nous promettre la « cité des fins » de Platon et Marx. Les autres nous proposent le « paradis » à travers l'Etat et la société « islamiques ». Entre temps aussi bien Statine que Fidel Castro ont fait de la cité platonicienne une « dictature du Prolétariat » qui s'est avérée être une vulgaire dictature tout court. Quant à l'islamisme radical, les peuples arabo-musulmans n'en ont retenu à présent que l'exemple très décevant iranien, qu'il est bien difficile d'assimiler à une démocratie pluraliste. Entre-temps ils attendent toujours le « Mahdi démocratique » Alors que faire surtout que la « majorité silencieuse » n'a pas de repères en ce moment. Elle cherche désespérément des leaders charismatiques hors des « roumouz » de l'ancien régime, mais qui ont suffisamment de force de caractère et de personnalité pour aspirer au commandement politique et imposer la paix sociale et la reprise économique. Mais au fait c'est quoi une élite de commandement ? Encore Pareto et Wright Mills pour dire qu'il s'agit d'une élite ascendante formée de personnes capables de prendre les décisions parfois les plus amères et les plus impopulaires parce qu'elles sont les seules à pouvoir construire le présent et l'avenir d'une nation. Pour jouer encore avec les mots il nous faut des leaders capables de décisions parfois nécessairement impopulaires mais qui arrivent par cette même force de caractère à gagner l'estime du peuple et à devenir très populaires sur la durée ! Au fond la majorité silencieuse a besoin d'hommes d'engagement pour s'engager à son tour ! Et seuls les audacieux en ont la jouissance ! Tiens, M. Ahmed Néjib Chebbi devrait chasser sur ces terres bien vierges en ce moment ! K.G