Par Khaled GUEZMIR - Au fond, c'est la police ! Les Grecs l'assimilaient à l'Etat (Polis), les juristes du 19ème et 20ème siècles en ont fait le bras armé de la « violence légale », dont le seul détenteur légitime est l'Etat. Depuis John Locke le fondateur de l'école libérale occidentale ce concept de la violence légale a été admis comme l'une des bases essentielles du contrat social. Les «habitants», devenus entre-temps, « citoyens » acceptent de mettre en veilleuse une partie de leurs libertés et droits naturels pour en préserver d'autres et assurer la vie paisible de la communauté. C'est ce qu'on appelle la « sûreté » traduit en arabe… «Al Amen». La police est donc l'instrument, le corps et la structure qui permettent de garantir la « sûreté » des personnes et des biens publics et privés en contrepartie de ce désistement des citoyens d'une partie de leur liberté et droits naturels. Ceci implique une double exigence : la discipline des citoyens et l'obéissance à la loi et la discipline de la police et son allégeance à l'Etat, seul détenteur de la violence légale comme nous l'avons signalé précédemment. La police devient ainsi le protecteur de l'Etat « légitime » et son « légitime » gouvernement contre tout ce qui peut amener à sa désagrégation. Mais alors où est le problème ! C'est dans la pratique politique et la mise en application des lois. Où commence la légitimité de l'Etat et ses institutions et où finit la légitimité des gouvernants ? Autre question centrale, la police doit-elle une obéissance absolue aux détenteurs du pouvoir, ou a-t-elle une marge d'interprétation quand elle soupçonne la mesure édictée, ou l'ordre donné non conformes à la « la loi » ! Ce qui se passe dans les révolutions arabes actuelles est très symptomatiques de cette équation combien dangereuse : Où commence la « légalité » de l'ordre et où finit-elle ? Quand MM. Kadhafi et Bachar Al Assad donnent des ordres pour tirer à l'arme vive sur les manifestants qui tombent par dizaines chaque jour, faut-il appliquer les ordres ou les refuser au risque d'être traduit devant la Cour martiale pour refus d'obéissance et désertion ! La Tunisie et l'Egypte sont dans une situation quelque peu différente du fait de l'institutionnalisation des corps de la sûreté de manière plus approfondie et leur intégration dans les structures de l'Etat depuis l'indépendance sur des bases constitutionnelles et légales. Certes, l'allégeance au gouvernement « légitime » a été la règle depuis 1956, mais elle s'est toujours accompagnée d'une relative prudence quant à la nécessité de respecter la loi et la vérité des faits pour éviter les « règlements de comptes » contre les ennemis du pouvoir en place. L'interpénétration entre le politique et l'ordre « légal » symbolise cette dangereuse équation entre le pouvoir discrétionnaire de l'autorité politique et la petite marge d'interprétation des structures de police pour freiner les ardeurs des dictateurs et leur égocentrisme dévastateur. Ces derniers ne conçoivent la police que comme une « milice » de protection de leur pouvoir et de leurs intérêts personnels, alors qu'elle est censée protéger l'Etat, le gouvernement légitime et la société dans son ensemble en permettant la quiétude et en assurant la « sûreté » du pays. Ceci implique aussi une grande dose de responsabilité de discipline et un sens élevé de l'intérêt général. La dérive des Ben Ali, Moubarak, Kadhafi, Assad et Ali Abdallah Salah, c'est d'avoir à des degrés divers « milicisé » non seulement les structures de la police mais de l'Etat tout entier. D'où cette bataille juridique qui s'annonce à la veille de procès de certains cadres de la sûreté. Où commence l'ordre « légitime » et où finit-il ! Que Dieu préserve la Tunisie ! Par les temps qui courent nous sommes confrontés à deux exigences essentielles : Réhabiliter l'Etat et sa police « légale » et redonner confiance aux cadres et agents de notre police pour servir l'Etat de droit et protéger l'ordre public et les citoyens ! Permettez-moi, enfin, d'avoir une pensée admirative et de souvenirs pour certains cadres très compétents de la police tunisienne qui ont été d'une loyauté exemplaire pour l'Etat national indépendant. Je citerais, en particulier, feu Si Salah Toumi, longtemps directeur de la police judiciaire sous le ministère Taïeb El M'hiri, remarquable de dévouement à la chose publique, un homme d'honneur et de vérité que les jeunes d'aujourd'hui, doivent imiter ! Un « flic » vous me direz ! Mais quelle élégance… Un seigneur juste et incorruptible pour ceux qui s'en souviennent encore !