Par Khaled GUEZMIR - Jamais peut-être une révolution dans l'espace arabo-musulman n'a été aussi proche de l'Occident que la Révolution tunisienne du 14 janvier 2011. Si nous revenons à tous les slogans scandés par les jeunes manifestants de Kasserine à la Kasbah en passant par l'avenue Bourguiba et la place Mohamed Ali, leur référence première c'est la liberté, la dignité et la démocratie qui sont ancrées dans l'identité occidentale depuis la Grèce antique et dont l'écho est largement diffusé en Tunisie depuis Carthage. Un petit retour aux fondements de la démocratie libérale européenne ou américaine ne fera que confirmer cette thèse. Les jeunes révoltés de la dignité et du « Jasmin » ont crié haut et fort leur refus de la répression et de la terreur d'Etat qui leur étaient imposées par le système totalitaire de Ben Ali. D'où ce retour à un thème majeur de la démocratie libérale occidentale : La Sacralité de l'individu ou ce qu'on appelle la liberté autonomie. Elle comporte la liberté politique individuelle, les droits fondamentaux de l'Homme et notamment la protection de son intégrité physique, la liberté religieuse et le droit de propriété. Par ailleurs nos jeunes ont réclamé la participation politique chère à Aristote, John Locke, Voltaire, Montesquieu et Rousseau. Là aussi l'héritage et l'influence identitaire occidental sont clairs et nets. Dans la liberté participation, les citoyens s'approprient moralement l'Etat. Ils peuvent élire et être élus et ont droit de façon égalitaire et selon le mérite, aux charges et fonctions de l'Etat même les plus hautes. Idem pour les droits économiques et sociaux qui sont l'héritage direct de la Révolution française de 1789 et d'un auteur majeur, bien qu'issu de la noblesse, comme Alexis de Tocqueville (cf. la Démocratie en Amérique en 2 tomes). Ce doctrinaire politique appelle à la combinaison de la liberté et de l'égalité. Or c'est la première revendication de feu Mohamed Bouazizi et ses camarades tombés sous les balles de la lâcheté. Le rappel de ces valeurs démontre à tous ceux qui veulent « récupérer » la révolution au nom des idéologies de l'hégémonisme et de la nouvelle terreur maquillés aux couleurs des temps nouveaux, impose une grande responsabilité à nos élites politiques et surtout partisanes qui aspirent au commandement. Il faut protéger les aspirations véritables de la révolution du 14 janvier et les valeurs qu'elles dégagent. Parmi elles citons avec insistance la tolérance libérale inspirée par l'identité arabo-musulmane rationalisée et non violente. Les islamistes doivent dire à notre peuple qu'ils sont pour la démocratie libérale, patrimoine universel, et qu'ils acceptent sans aucune réserve l'alternance pacifique au pouvoir ainsi que la liberté de religion et de conscience, et les libertés individuelles et collectives consacrées par toutes les déclarations universelles des droits de l'homme et du citoyen. Mieux encore ils doivent s'engager à les protéger s'ils accèdent au pouvoir. Des auteurs politistes comme Almond et Powel désignent cette orientation par le concept de « sécularisation culturelle », qui fait que la religion évolue d'une idéologie de contrainte sociale et politique, vers une sorte de culture de la fraternité et de la solidarité libérale et pacifique. C'est un long processus qui a consacré l'évolution occidentale vers une séparation de l'Eglise et de l'Etat à partir du 16° siècle pour laisser place peu à peu à la « laïcité chrétienne ». Dans le monde arabo-musulman ce processus est encore à son début. Je pense qu'il doit se faire dans la sérénité, sans cassure ni affrontement entre la liberté individuelle et l'islamisme parce qu'on peut prendre de l'Occident ce qui ne nuit pas à l'héritage culturel et juridique musulman… Encore une fois la bonne recette c'est celle du grand réformiste Khayreddine Bacha Attounssi, véhiculée par « Akwam Al Masalak fi maarifati ahwal al mamalek » depuis 1867. Finalement l'exigence démocratique tunisienne remonte loin dans nos consciences et nos racines et coule naturellement dans nos veines. Le tout c'est de ne pas la dénaturer et l'agresser par le despotisme ou l'extrémisme qui sont toujours les meilleurs alliés !