Par Khaled GUEZMIR - Qu'est-ce que l'Etat ! Il est grand temps de poser la question, au vu de ce qui s'est passé en Tunisie depuis 23 ans avec une démolition systématique de l'essence même et de l'Ethique de l'Etat tunisien ! Les Grecs appelait l'Etat « polis » c'est-à-dire « cité » celle qui permet la vie collective et paisible des citoyens. Les Romains le désignait par « Statuts » ce qui veut dire : « debout », pour signifier que l'Etat a pour vocation la continuité contrairement aux dirigeants et aux gouvernants qui changent et qui ne sont pas éternels ! Mais l'évolution, a fait que l'Etat ait au moins deux fondements intangibles : L'intérêt général et la puissance publique. Le premier principe est évident et il fait l'unanimité des juristes du droit public. Personne y compris les chefs d'Etats n'ont le droit de s'approprier l'Etat pour servir des intérêts particuliers ou personnels. Même les Rois sont obligés de faire la différence entre leur « propre » patrimoine et celui de la collectivité et des autres individus. C'est pour cela que l'un des principes majeurs de la déclaration française des droits de l'homme et du citoyen de 1789 a été de sacraliser en quelque sorte le droit de propriété. Certes le Bey de Tunis signait, du temps de la dynastie husseinite, ses décrets par la formule consacrée : « Le Bey Possesseur du royaume de Tunis » « Al Bey Malek Al Iyala Attounoussiya). Mais de fait c'était beaucoup plus une distinction protocolaire que l'affirmation de l'appropriation de l'Etat ou du pays tout entier par le Bey ! D'ailleurs pour rétablir la vérité historique beaucoup de Beys et des membres de leurs familles étaient pauvres. Ils vivaient d'une liste civile (quelques indemnités) dérisoire et qui n'a rien à voir avec les sommes faramineuses et à la limite du réel dont on entend parler ces derniers jours sur le « patrimoine » de l'ancien dictateur et de sa famille ! L'Etat par conséquent a pour vocation première et essentielle de servir et protéger l'intérêt général. Or l'ancien régime a fait de la Tunisie un véritable « fonds de commerce » particulier du dictateur et de sa famille qui ont mis la main sur toutes les sources financières du pays. J'en arrive à la « Puissance publique » celle-ci est matérialisée par l'appropriation de l'Etat des moyens et de l'usage de ce qu'on appelle « La violence légale ». l'Etat est le seul à disposer de la police, de l'armée et des moyens de coercition et il ne peut en user qu'en application de la loi. A titre d'exemple pour arrêter un criminel ou priver quelqu'un de sa liberté en le mettant en prison, il faut une loi ! Il est évident que la possession exclusive par l'Etat, des moyens de la « violence légale » peut conduire les régimes politiques et les gouvernants à en abuser soit de « bonne foi » dit-on ou par méconnaissance de la loi elle-même et qu'on qualifie par « l'Etat de droit ». Mais en faire une politique systématique et de répression, pour museler les libertés et asservir les peuples et leurs élites, c'est le propre du despotisme ! C'est pour cela qu'un John Locke le père de la démocratie libérale en Angleterre et dans tout l'Occident, avait prévu les garde-fous nécessaires. Dans son traité sur le gouvernement civil Locke explique que pour permettre la vie paisible des sociétés humaines, les individus acceptent de bon gré et volontairement, de renoncer à certaines libertés dans le cadre de ce qui est appelé « Le contrat social », mais à condition que l'Etat et les gouvernants protègent les droits naturels de l'homme et ce qui reste des libertés ! Locke va encore plus loin en déclarant que les régimes ou les dirigeants qui ne le font pas sont illégitimes et doivent être combattus ! Pour revenir à notre pays, le règne de Ben Ali a été caractérisé par une déviation majeure : Une dépréciation de l'Etat et de ses institutions surtout celles de la souveraineté, au profit d'un « Etat parallèle » et pratiquement hors des lois ! L'usage de la violence, de la privation de la liberté et même de la torture a été non seulement une « violence illégale » mais possible du droit international humanitaire. C'est pour cela qu'il est urgent de réhabiliter, l'essence même et l'éthique de l'Etat, de fait, sa véritable légitimité constitutionnelle. Les Ministères de souveraineté et spécialement ceux qui détiennent les moyens de la violence légale ne doivent en user que selon les lois. La Tunisie a toujours eu de bons cadres qui ont été formés et éduqués dans ce sens. Nos juges, et nos policiers et agents de l'ordre ne sont pas tous corrompus ou « hors la loi ». Bien au contraire, la majorité est saine et légaliste. Seuls quelques carriéristes et opportunistes minoritaires n'ont pas fait du temps de l'ancien régime la différence entre la légalité et le « loyalisme » à la personne du dictateur, de son épouse et de son clan ! Maintenant tournons cette maudite page pour toujours ! Plus jamais la « milicisation de l'Etat » !