Les résultats des élections de la Constituante ont laissé perplexes nombreux sympathisants et électeurs qui avaient choisi de voter pour les candidats du Parti Démocrate Progressiste (PDP) ou ceux du Pôle Démocratique Moderniste (PDM) et autres partis se réclamant de gauche. Des scores imprévus, et qui donnent à réfléchir pour de nombreux candidats. Des réunions pour dresser les bilans et tirer les leçons nécessaires sont organisées, un peu partout, sans tomber dans l'auto flagellation. Pour de nombreux observateurs le score du PDP a été surprenant. Comment l'expliquent-ils ? Il est vrai qu'après coup l'analyse est facile. Certains considèrent que l'entrée d'Ahmed Néjib Chebbi, au premier gouvernement de Mohamed Ghannouchi a desservi l'image de marque du parti et de son président. Mais pouvait-il faire autrement, au moment où il fallait assurer la continuité de l'Etat tout en procédant à certaines réformes urgentes, comme l'amnistie générale ? La campagne de communication au travers d'affiches géantes était une première en Tunisie. Toutefois, elle n'a pas été appréciée par certaines franges de la classe politique qui n'avaient pas hésité à faire des comparaisons avec un passé non lointain. La deuxième campagne d'affichage où le slogan eu le privilège sur les personnalités dirigeantes du parti semble plus apaisée. De toute façon, c'était une première expérience. Et toute nouveauté est sujette à des erreurs. Son évaluation est nécessaire. Certains évoquent un excès constaté lors des apparitions des cadres du parti sur les chaînes de télévision. A force d'être présents sur l'écran une certaine banalisation et lassitude peuvent se produire. Il faut dire que ce genre de critiques est à relativiser, car c'est Ennahdha qui a accaparé le plus de temps d'antenne. Ça l'a bien servi. Pour certains, la bipolarisation Ennahdha-PDP, a desservi ce dernier. Il ne fallait pas montrer que le PDP était le seul opposé à Ennahdha, car dans les mosquées les imams jouaient la carte Ennahdha et ses alliés. Est-ce qu'il fallait pour autant taire ses divergences avec ce parti ? Ce n'est pas sûr. Une certaine fixation pouvait être évitée. Un autre reproche est fait : une certaine personnalisation du PDP en axant sur son leader. L'image de la Secrétaire générale Maya Jeribi, femme militante portée sur les épaules le 14 janvier à l'avenue Habib Bourguiba, n'a pas été bien exploitée. Son nom aurait pu focaliser beaucoup de voix féminines qui avaient peur, pour leurs acquis et craint, Ennahdha et tout autre parti qui remettrait en cause leurs droits contenus dans le Code de Statut Personnel (CSP). La moitié des électeurs est constituée de femmes qui ne s'alignent pas forcément et automatiquement sur le vote de leurs maris. Les démissions successives et leur sur- médiatisation ont causé du tort au parti. Chaque fois que des listes de candidats se constituent, il y a des mécontents. Mais est-ce une raison pour travailler contre son propre parti ? Le financement du parti et les apports de certains hommes d'affaires ne passaient pas bien dans l'opinion. Il fallait parler des comptes du parti et montrer leur caractère clean. Par comparaison Ettakatol en présentant ses comptes même, s'il n'est pas rentré dans les détails, a pu écarter certains soupçons. Ennahdha non plus n'a pas présenté ses comptes. Mais ce parti se targue d'un million d'adhérents. Et les médias étaient assez complaisants à son égard. A Sfax, certains hommes d'affaires qui n'avaient pas une très bonne réputation, en s'affichant à côté des dirigeants du PDP, les ont mal servi. Une certaine distance et discrétion n'auraient pas fait de mal. La position de principe du PDP, concernant l'ex- RCD n'a pas été bien comprise par l'opinion publique. Les responsables de ce parti n'avaient pas voulu jouer au populisme opportuniste. Il en était de même pour les positions adoptées lors des sit-in Kasba 1 et Kasba 2. Là encore, il y a eu un certain déphasage avec certaines franges de l'opinion publique. La poursuite, même pour quelques jours seulement, de la publicité politique en dépit de l'interdiction décrétée par l'Instance Supérieure Indépendante des Elections (ISIE) a été mal appréciée par certains, comme si le parti était réfractaire à l'ordre et la « loi ». La question de l'identité, de la religion et de la morale a été gauchement cédée à Ennahdha, alors qu'elle intéresse tous les Tunisiens. La projection du film Persepolis par la chaîne Nessma a beaucoup servi Ennahdha. Il a déplacé le curseur de la campagne électorale. Au lieu de discuter le contenu de la prochaine Constitution ou les programmes économiques et sociaux proposés par les différents partis, le débat s'est concentré sur la place du sacré et son nécessaire respect. A quelques jours du scrutin, beaucoup d'indécis ont pris leurs distances des partis modernistes et progressistes et par repli identitaire se sont trouvés du côté d'Ennahdha. L'image de la chaîne Nessma, passant chez beaucoup de Tunisiens, pour une chaîne opposée à la religion, a causé du tort à tous ceux qui passaient fréquemment sur ses plateaux en cette période précise. Au moment où les élites modernistes, tombaient dans le piège du débat sur l'identité, les autres faisaient du social, contactaient le bon peuple et faisaient des promesses concrètes. Il faut attendre longtemps pour que les choses se décantent. Les partis modernistes peuvent ne pas vendre leurs âmes, tirer les leçons de leurs échecs relatifs, constituer un contre-pouvoir de propositions. Pour cela, il faudra qu'ils apprennent à ne pas jouer solitaires et être collés au bon peuple, en quittant leur tour d'ivoire. Hassine BOUAZRA sihem [email protected] Belguessem [email protected]