Par Slaheddine GRICHI Il n'y a pas que les grandes valeurs et le savoir qui soient universels. L'art aussi peut l'être. Et si l'universel n'efface pas le spécifique individuel, il dépasse les différences, abat les frontières et ouvre des horizons toujours renouvelés. Aussi, nombre de nos artistes et créateurs quittent-ils leur terroir et s'embarquent-ils en quête, consciente ou inconsciente, de cet universel, qu'ils traduisent, souvent, dans un langage «terre à terre», par recherche d'une plus grande diffusion et d'une reconnaissance plus large, si ce n'est par désir de gains plus conséquents. Quoi qu'il en soit, il est établi que la migration de l'art autant que du savoir a, depuis toujours, enrichi leurs hommes, donné une autre dimension à leur produit et contribué au rapprochement des peuples. D'où cette considération particulière dont jouissent ceux qui se sont imposés ailleurs que chez eux et qui dépasse, de loin, celle réservée à leurs égaux qui ont choisi la «sédentarité». Dans cet espace, nous ne remonterons pas loin dans l'histoire de la migration tunisienne, nous ne traiterons pas non plus de la «Zitouna», longtemps un pôle de savoir qui a attiré et formé des gens de différentes nationalités, pas plus que nous ne parlerons des cerveaux, des écrivains, des chercheurs et des savants tunisiens, exerçant hors de nos frontières. En effet, nous nous limiterons au domaine de la peinture, de la musique et du cinéma, sans retourner au-delà du siècle dernier. Les arts plastiques Les capitales européennes, notamment Paris, la ville des lumières, ont beaucoup attiré nos plasticiens, à commencer par le fort prisé des premières décades du XXe siècle, Jilani Abdelwahab (le frère de Hassan Hosni Abdelwahab), qui signait «Abdul». Il a été suivi par de nombreux autres dont les plus fameux sont, entre autres, Aly Bellagha et Hatem Mekki; plus tard par Férid Ben Messaoud, Moncef Mansi et plus récemment par Amar, qui vient de décéder, à la fleur de l'âge. Stockholm, elle, a accueilli pendant une courte période Habib Bouabana, mais c'est surtout Aly Ben Salem qui y a le plus vécu, acquérant une notoriété internationale. La talentueuse Fatma Charfi a opté, elle, pour le territoire helvétique où elle s'est fait une belle réputation. Tous ces noms, et d'autres encore, n'ont jamais coupé les ponts avec le pays où ils sont, soit définitivement, soit épisodiquement, retournés. La musique Idem pour la musique où Hassiba Rochdi et Mohamed Jamoussi, qui a vécu à Paris aussi, se sont rendus, bien avant l'Indépendance, au Caire, la Mecque à l'époque de la chanson et du cinéma arabes, donnant une autre dimension à leur carrière. Ils y ont même joué dans des films, avant de regagner définitivement leur Tunisie, imités en cela, des décades après, par l'inégalable Oulaya, qui en quelques petites années, est devenue une des plus grandes stars au pays du Nil. Latifa Arfaoui s'y est également fait un grand nom, mais c'est surtout Dhikra Mohamed qui y a scintillé, éclaboussant de son talent et de sa voix inimitable, tout le monde arabe. Le grand Lotfi Bouchnaq a également vécu au Caire, mais c'était essentiellement dans le cadre de son ancien travail de chef d'escale. Il y retourne souvent en vedette incontestée du chant arabe, un statut qu'il a travaillé et acquis à partir de son pays. Et comment ne pas évoquer ici la star Saber Rebaï qui, lui, a choisi Beyrouth à sa fantastique carrière. Nous n'oublierons pas les excellents instrumentistes que nous comptons à Paris et ailleurs, dont le confirmé premier violon dans tous les orchestres où il joue, Mohamed Makni, les jeunes reconnus Yasmine Azaïez et Bassem Anas Romdhani (violon), ainsi que Wissam Ben Ammar (alto). Théâtre et cinéma Nos représentants outre-mer dans les secteurs du cinéma et du théâtre sont très nombreux, et exercent dans différentes spécialités. On ne peut commencer que par le producteur international Tarak Ben Ammar qui s'est fait présent dans les plus grandes productions européennes et même américaines. Chawki Mejri s'est, quant à lui, imposé comme l'un des meilleurs réalisateurs de feuilletons arabes, bien qu'il soit cinéaste de formation. Tarak Ben Abdallah, lui, est un directeur photo fort recherché du cinéma italien, alors que Néjia Ben Mabrouk, Mahmoud Ben Mahmoud, Raja Laâmari et surtout Abdellatif Kechiche continuent d'excecer entre la France et la Belgique. Les Dhafer L'Abidine, Fethi Haddaoui, Ahmed Hafiène, Férial Graja, Néji Najah, Khaled Ksouri et particulièrement Hend Sabri sont en train de faire, en tant que comédiens, les beaux jours, qui au cinéma, qui au théâtre, des fictions en Egypte, en France, en Angleterre et en Italie. A nos autres ambassadeurs de l'art que nous n'avons pu citer, nos salutations.