Le 18 novembre, dans une conférence inaugurale et magistrale, Yadh Ben Achour associe le droit positif à la démocratie. Compatible avec la justice terrestre celle-ci ne saurait perdurer sous la férule des prescriptions célestes. N'en déplaise au futur premier ministre, chez l'héritier de Bourguiba, le tribunal charaïque ne passera pas. Le poète iconoclaste, lui aussi, écrit : « Notre père, qui êtes aux cieux, restez-y ! » Mais, pour conforter sa prise de position, le savant, devenu militant, l'engage sur un terrain glissant. Une liberté personnelle et universelle serait au principe des libertés plurielles. Toutefois, c'est là où blesse le bât. Etre de langage inculqué par l'entourage, l'individu n'existe pas hors de sa production sociale sous forme d'homme libre ou de voué à l'esclavage. Marcel Mauss, avec d'autres, le montre, la notion de personne, elle-même naissait à un moment historique déterminé. Rien, dans le monde social, ne permet de supputer l'antériorité, pratique et théorique, d'une liberté ancrée dans l'individualité. Mais d'où provient ce coup de force épistémologique chez l'éminent connaisseur du champ juridique ? L'observation répond à la question. Indigné, engagé, ; l'homme saute, à pieds joints, pour franchir le rubicon intercalé entre le savoir et l'action. Passeur de la transition, par l'esquisse de la nouvelle constitution, avec ses compagnons, Yadh aura saisi et transmis le flambeau de la révolution. Tout collègue attaché au souci de vérité pourrait, quelque peu, le taquiner ; mais Lénine l'aurait approuvé à l'heure où le spectre de l'éthos théocratique lève les vents contraires au rêve démocratique. Dès lors, comment éluder, malgré tout, la thèse erronée d'une liberté donnée à voir pour une essence inhérente à l'existence ? Aujourd'hui, en Tunisie, deux mouvances, aux racines plus ou moins profondes, opposent leur vision du monde. Chacune recherche l'adoption de son idée par l'ensemble de la société. Par quel détour contourner ce dialogue de sourds, quand l'un voit sa liberté là où l'autre perçoit une calamité. La conciliation par l'argumentation juridique et son habillage cousu de fil blanc pseudo philosophique ne convertit que les électeurs déjà bien acquis. Dans ces conditions, compter sur la persuasion et négliger le rapport de force, tout au long du chemin prochain, ne mène à rien. Hélas, dans cette ample discussion, où les tenants de l'outillage appropriée nagent comme un poisson, d'innombrables « écrivains », demi-savants et parleurs impénitents opèrent à coup d'affirmations au moment où les drôles de croyants recourent à l'argument du bâton si la carotte rate le client.