Du 1er au 3 décembre se tient à l'hôtel Alhambra d'Hammamet un colloque organisé par l'Académie de la Latinité, le Collège International de Tunis ainsi que le magazine Réalités. Répondant à l'appel lancé par les organisateurs, l'hôtel accueille depuis mercredi soir une quantité considérable, et toutes nationalités confondues, d'intellectuels, d'hommes politiques, d'universitaires, de journalistes, dont le but est de partager des idées et d'analyser l'actualité tunisienne, mais aussi d'apporter différents éclairages riches des expériences internationales des intervenants. Après le discours d'ouverture prononcé par monsieur Candido Mendes, Secrétaire général de l'Académie de la latinité, monsieur Felipe Gonzalez, ancien Premier ministre d'Espagne, a pointé du doigt les « utopismes régressifs », mélange de passéisme et de régime autoritaire, mais aussi la crise de l'autorité morale que subissent les gouvernants des démocraties représentatives et la renaissance du nationalisme égoïste qui fait le lit de la xénophobie. La préoccupation majeure, bien sûr, restait la situation que connaît actuellement la Tunisie et les inquiétudes qu'elle fait naître dans tous les esprits. Mais sans céder à l'alarmisme et encore moins au pessimisme, les intervenants se sont succédé pour nuancer les analyses et proposer, qui de nouveaux types d'alliances politiques (Mohamed Haddad), qui une réappropriation de la mémoire démocratique des pays arabes (Ridha Tlili) mise à mal par des années de régimes autoritaires ayant instrumentalisé l'histoire des peuples au seul profit de la perpétuation de leur pouvoir. La révolution tunisienne fut, et est encore (du moins faut-il l'espérer), une exigence de dignité, cette même dignité enfin retrouvée lors des indépendances et malheureusement mise entre parenthèses par les autocrates, « la loi du pouvoir doit céder la place au pouvoir de la loi » a préconisé Sami Naïr, dans un vibrant plaidoyer. Le mouvement fondamental impulsé par la Tunisie au début de l'année 2010 fut aussi, en partie, le fruit d'un contexte international qui avait connu des changements radicaux ces vingt dernières années; l'effondrement du stalinisme et du mur de Berlin, l'émergence des nouvelles technologies de l'information, une situation économique délétère et endémique dans la quasi-totalité des pays arabes où sévissent des « clans » ou des « familles » n'ayant d'autre but que de siphonner les ressources locales, l'apparition de la « mondialité » (mot forgé par Edouard Glissant) etc., avaient favorisé l'exaspération des classes populaires et moyennes. Rendus aveugles et sourds par des lustres de pillage, confiants dans l'immuabilité de la rapine érigée en politique nationale, les dirigeants des pays arabes ont vu leur peuple sortir d'une léthargie faite de crainte et de fatalisme. Trop souvent compromise par ses silences ou par ses soutiens cyniques (ou pragmatiques, c'est selon), l'Europe s'est elle-même quelque peu disqualifiée dans sa fonction d'instigatrice de processus dynamiques et modernistes, ainsi les regards pourraient désormais se tourner vers l'Amérique du Sud afin de profiter d'expériences moins ethnocentrées et où la place et le rôle des femmes est déterminant. Comme l'a analysé Sami Naïr, les formations démocratiques tunisiennes se doivent d'identifier clairement les raisons de leur déroute (votes ventilés, fixation excessive sur des épouvantails trop vite brandis, etc.) afin de ne pas connaître une nouvelle débandade qui leur serait fatale lors des prochaines élections. Mohamed Haddad a aussi rappelé à quel point les partis démocratiques avaient échoué, pour le moment du moins, à établir une jonction entre les forces progressistes et les forces vives, celles de la rue, qui ne se sont pas reconnues dans leurs déclarations, avec les conséquences que l'on sait. L'importance de l'Imaginaire a été évoquée sous de multiples formes et le génie tunisien, avec un peu d'audace, pourrait bien y trouver son compte. Dans le souci de ne pas d'éloigner d'une actualité par trop brûlante, Hélé Béji a tenu à rappeler à l'auditoire les récents évènements survenus sur le campus de l'université de la Manouba. Un jeune étudiant de la même université est venu apporter son témoignage, simple et direct, d'une situation qui frôle parfois le surréalisme. Il a aussi partagé son étonnement quant à la qualité de l'organisation des occupants du campus et sur l'importance de leur soutien logistique; enfin, il s'est interrogé sur le « timing » des évènements qui pourraient focaliser l'attention sur ces « péripéties » alors que des décisions d'une importance capitale sont en passe d'être prises au sommet de ce qui n'est pas encore tout à fait l'Etat. Malgré la gravité des questions abordées, monsieur Candido Mendes a réitéré une confiance indéfectible, non en des lendemains qui chantent, mais en des « possibles voluptueux »… La deuxième journée du colloque s'attachera davantage à la crise européenne et de la nouvelle question sociale, ainsi qu'aux problématiques « médiations, transitions et changements ».