Le colloque s'est poursuivi ce jour, 2 décembre 2011 et toujours dans la grande salle de conférence de l'hôtel Alhambra d'Hammamet. Madame Catherine Wihtol de Wenden (France), spécialiste des migrations internationales et directrice de recherche au CNRS, a ouvert cette deuxième journée en abordant les problématiques inhérentes aux flux migratoires et les questions de diasporisation de l'immigration. Une nouvelle fois, le contexte international a été mis en avant afin d'éclaircir certains phénomènes et défaire d'autres lieux communs, il a ainsi été rappelé que les flux migratoires « Sud/Nord » restent aussi importants en volume que ceux ayant lieu dans la sphère « Sud/Sud »; quant à la tentative, avalisée par le PNUD, de faire de la mobilité un droit humain, elle se heurte pour l'instant à un désintérêt certain de la part des Etats membres du G20 pour des raisons que l'on peut deviner. La parole fut ensuite donnée à monsieur Abdulrahman Al-Salimi (Oman/Royaume-Uni), qui aborda les notions d'identités et de pluralisme racial et débattit de la question de la création de l'identité nationale. Mais le temps fort de la matinée fut, sans conteste, l'intervention de madame Héla Ouardi (Tunisie), qui se chargea d'aborder le sujet controversé de l'autorité en islam. Avec une érudition rare, mise en valeur par un sens de l'analyse infaillible, elle a brillamment démontré tout le travail de construction historique (tri de certains hadiths au profit d'autres, existence de différentes versions du texte de référence, malentendus, volontaires parfois, quant à certains passages, etc.), qui a été nécessaire à l'élaboration de ce qui est maintenant nommé « charia », fruit des manigances des cheiks et autres défenseurs du magistère doctrinal, tenants d'une orthodoxie où la foi musulmane s'est vue réduite à une exacerbation de la pratique et du rituel, et où tout le contenu spirituel et philosophique a été relégué à des discussions entre érudits que l'on devine fort lasses. Madame Héla Ouardi date, pour sa part, la naissance de l'islam politique à la mort du Prophète, évènement qui aura conduit à une suite sans fin de guerres fratricides afin d'obtenir toujours davantage de pouvoir. De la foi en un Dieu unique chère au cœur des musulmans du monde entier, il ne semble rester qu'une exaltation de la soumission au chef, normalisée par une biopolitique (obsession du boire, du manger, de l'hygiène, etc.), et qui continue de faire le jeu de tous les obscurantismes. L'éradication des « pratiques locales » et de la « tunisianité » étant le risque majeur généré par le rouleau compresseur des standards venus d'ailleurs. Unanimement conquise, la salle a réservé à l'intervenante une chaleureuse salve d'applaudissements. Après la pause-déjeuner, ce fut au tour de monsieur Dick Howard (USA), de livrer un historique savant sur la naissance de la Constitution nord-américaine et de pointer du doigt des notions ambiguës telles que celles de « peuple », de « représentation » et de souveraineté. Madame NilüferGöle (Turquie) prit ensuite la parole afin de détailler la situation turque et ses relations complexes avec la communauté européenne d'une part, mais aussi avec le monde arabe d'autre part. Grâce à son passé et à sa situation géostratégique, la Turquie se voit désormais dans la position d'être une « interface » entre différents pays et cultures dont elle pourrait être la somme du meilleur. Fière de sa singularité, la Turquie s'est savamment réapproprié certains modèles, et en a inventé d'autres, dans le but d'élaborer une société riche de la diversité de ses composantes. La Tunisie, qui essaie en ce moment même de remettre la démocratie au centre des préoccupations naguère monopolisées par la république, pourrait, là encore, trouver d'intéressantes pistes à explorer et à infléchir. Quant à l'Europe, son statut d'idole en perte d'adorateurs a été à nouveau commenté, et madame NilüferGöle a démontré l'émergence d'une période qu'elle nomme « posteuropéanité », et qui voit l'apparition d'un nouveau paradigme où les regards ne sont maintenant plus exclusivement focalisés vers le Nord; la révolution tunisienne aussi, aura eu cet impact-là. Pour clore les interventions, monsieur Josep Ramoneda (Espagne) s'est livré à une lecture de ce que les médias ont pris pour habitude d'appeler « crise économique » : vaste notion fourre-tout et technicienne ne semblant pouvoir être réglée que par de salvateurs experts, évidemment aguerris et apolitiques, et dont le scientisme ne suffit cependant pas à cacher la volonté de dépolitiser ladite crise. En ayant favorisé la création de l'idée de « dette souveraine », les Etats européens ont montré leur souhait de rendre publique la dette privée, occasionnant une lente agonie (annoncée ?) du politique. Le résultat, toujours d'après monsieur Josep Ramoneda, en est la substitution de l'imaginaire démocratique par une culture de l'indifférence dont certains mouvements sociaux récents constituent, peut-être, les premiers signes de contestation. En fin de journée, deux jeunes enseignants sont venus apporter leurs témoignages relatifs aux exactions commises sur les campus ou lors de manifestations culturelles par des groupuscules à la pilosité outrancière. Leur but ? Semer la crainte et le doute, deux notions que les Tunisiens ont endurées durant de trop nombreuses années. Espérons que le passé, quels que soient les accoutrements dont il s'affublera, ne se répètera pas.