Fini donc, après le 23 Octobre, le débat sur « le pacte républicain » qui battait son plein dans ce cénacle à ciel ouvert qu'étaient devenus « Haut Conseil», « Commission de ceci », « Commission de cela » ! Maintenant, il faut autrement penser la cause palestinienne et son inscription dans nos textes fondamentaux. La démarche de ceux qui sont partis braver le blocus de Gaza ou qui s'apprêtent ça et là à en faire leur projet au nom d'une ferme conviction politique, reprend tout son sens. Leur bravoure n'est pas aussi anecdotique que cela, en effet. Je suis d'une génération dont la conscience politique s'était formée lors des ultimes tourments d'avant la décolonisation. Nombre de maisons, nos voisins de quartier à Tozeur étaient partis, tels des Don Quichotte, parfois à pied, pour défendre la terre palestinienne, ayant ou pas une véritable idée de l'immense distance qui les sépare du champ de bataille. Je suis de ceux qui, tout jeunes, juste gamins, avons eu les yeux pleins de larmes fusant de nos vieux poste TSF, la voix de Mohamed Abd al-Wahab toute aussi triste que mobilisatrice, clamant : «frère ! voici que l'ennemi dépasse les limites akhîjâwaza al-dhâlimûna al-madâ». Je suis de ceux enfin, déjà constitué comme un virtuel citoyen, qui avons vibré au grand bouleversement post-Bandung, suivi de la révolution égyptienne puis de nos indépendances, puis de toutes les tragédies et pluies de bombes qui s'abattaient sur un monde arabe pour qu'on empêchait de ressurgir et de vivre : Suez, la campagne du Sinaï et, cette éclaircie du discours de Jéricho, où Bourguiba calmait le jeu et dessinait le contour de compromis alors acceptable. Qui peut dire aujourd'hui que le drame palestinien ne fait pas partie intégrante, non seulement de notre histoire, mais de notre sensibilité. Ceux qui s'opposeraient à l'inscription d'une telle question dans nos textes fondateurs, commettent un oubli mais aussi une faute. Ils détachent la politique étrangère du concept même de la souveraineté et en font une simple démarche diplomatique sur un échiquier administratif d'ambassadeurs et de délégués. Or, la question dépasse, et de loin, une vision aussi sciemment simpliste. Ce qui a conduit Bourguiba en 1965 à affronter directement la population à Jéricho, bravant le discours ultra-dominant des Nasser, du Baath et autres nationalistes arabes, acceptant de subir un véritable lynchage politique, c'est bien sa hauteur de vue se livrant par cette bravoure à une anecdotique parade diplomatique, mais à sa propre image auprès de la population de son pays. Rappelons-nous : qu'il posait comme a priori à son audacieuse analyse qu'Israël était une injustice « absolue », que son implantation dans l'échiquier international est de ce fait au cœur stratégique de cette région, demandait qu'on limita les dégâts. Il ne cachait à personne qu'il mettait en branle en le disant sa fameuse politique des étapes, et qu'à l'horizon raisonnable d'une véritable évolution du monde arabe dans la paix, Israël ne pouvait que cesser d'exister comme structure étatique oppressive, comme une armée ayant un Etat, plutôt qu'un Etat ayant une armée, et qu'à long terme c'est dans l'intérêt de sa propre population de s'inscrire dans l'homogénéité d'un Proche-Orient pacifique. Rien que pour cette analyse, quasi métaphysique tant elle se reconnaissait de l'utopie, que nous devons penser à graver dans le texte de notre Constitution future l'évocation de notre rapport fondamental au reste du monde et à ce qu'on appelle le concert des nations. Non pas certes en y évoquant tel pays ou tel autre, telle « cause » ou telle autre, mais en affirmant d'entrée de jeu au seuil de tous ces textes arrivant tout droit d'un esprit des lois révolutionnaire que « la Tunisie ne saurait reconnaître, aider ou soutenir de quelque façon que ce soit un pays ou une puissance portant atteinte à l'humain et à la paix entre les nations. » !