Par Pr Khalifa Chater "(J'évoquerais) son discours qui a étonné le monde, par des paroles que jamais les Palestiniens n'ont entendues. Bourguiba réussit à rapprocher de lui “la patrie palestinienne”, mais sans guerre. Il fut accueilli par des applaudissements chaleureux et des larmes qui coulaient à flots... (J'évoquerais), le jour-même de son départ, le tapage de l'information traditionnelle, sans préavis, à tout ce qu'a dit Bourguiba et ce qu'il représentait par des insultes que les Tunisiens n'ont jamais connues auparavant, en réponse à ce que Bourguiba a dit en Palestine". (Témoignage de l'écrivain jordanien, Tarek Moussaoura, qui a assisté à la réunion de Jéricho. Evocation de Bourguiba, lors de son décès. Traduction personnelle). Ainsi définissait Tarek Moussaoura le discours de Jéricho de Bourguiba du 3 mars 1965 et son offensive de la paix. Le discours de "la légalité internationale", de "l'amorce d'un processus de paix" s'inscrit d'ailleurs dans une vision spécifique, appliquée dans la praxis politique, en tant que paradigme tunisien, de Jéricho à nos jours. L'histoire retiendra du voyage de Bourguiba, au Moyen-Orient (février - mars 1965) essentiellement son discours de Jéricho, son option en faveur de l'engagement des négociations, dans le cadre du partage de 1947 et la réactualisation du duel Bourguiba/Nasser, deux écoles géopolitiques, traduisant des démarcations stratégiques. Le pragmatisme de Habib Bourguiba et sa recherche de résultat se différentiaient du discours idéologique nassérien et de l'alignement géopolitique qu'il impliquait. Fut-il critique pour la politique des étapes de Bourguiba (1954), mécontent du rejet de son leadership, Nasser dut se rendre à l'évidence et prendre acte des succès du mouvement de libération nationale tunisien, illustré par la bataille de Bizerte (19 juillet 1961). Nasser participa, d'ailleurs, aux fêtes de l'évacuation, le 15 décembre 1963, qui scellait la réconciliation tuniso-égyptienne. En dépit de la brouille conjoncturelle, produite par le discours de Jéricho, la pertinence de la stratégie tunisienne, exprimée lors des repères de l'histoire palestinienne (Oslo, arrêt du processus de paix, poursuite de la pacification), était depuis lors reconnue par les observateurs avertis de la scène. Prenons la juste mesure de la reconnaissance par le gouvernement tunisien, des Palestiniens, comme les principaux acteurs, responsables de la définition de leur stratégie et l'expression de leur souveraineté. L'humanisme tunisien, l'attachement à la culture de la paix ne sont jamais perdus de vue, par l'école tunisienne, qui fait valoir, même lors des crises, l'espoir d'une paix juste et d'une coexistence prometteuse au Moyen-Orient. Le discours de la modernité, la réalisation d'un audacieux programme de réformes sociales, la promotion de la femme sont autant de repères sur l'itinéraire bourguibien du progrès. Faisant valoir la relecture des références, par le mouvement réformateur du XIXe siècle et les vues de Tahar Haddad, la Tunisie nouvelle accomplit une révolution sociale et politique qui l'inscrit comme un modèle d'avant-garde incontestable. Qu'il nous suffise de rappeler le Code du Statut Personnel (1956) et les réformes qui ont amélioré la condition de la femme, qui l'ont réconfortée. Le développement de l'enseignement et sa généralisation ont permis d'élever le niveau de la population et d'assurer la formation d'une nouvelle élite, en mesure de prendre le relais et de défendre les acquis. Dans le domaine économique, la création d'une infrastructure durant l'ère postcoloniale et le développement économique engagé par Hédi Nouira — véritable Khéreddine tunisien — après les essais et erreurs de la gestion collectiviste, ont créé les conditions de la relance économique que la Tunisie du Changement a poursuivie, réadaptée au nouveau contexte, réactualisée et redéfinie. Modernité, progrès, solidarité et ouverture, ces options marquent de leur empreinte la Tunisie nouvelle, frayant les chemins d'avant-garde, dans l'éthique de la fidélité et de la défense des acquis.