Par Khaled GUEZMIR – Rassurons-nous, nous ne sommes que sous « la dictature » de « la minorité » en attendant la vraie… celle de la majorité ! C'est quand même bizarre d'entendre les leaders de la « Nahdha » à la Constituante y compris le gentleman Samir Dilou, dénoncer - tenez-vous bien – la « dictature de la minorité » ! A ma connaissance, une « minorité » ne peut établir une dictature que par un coup d'Etat ou par une prise du pouvoir contre le gré de la majorité du peuple. Or, le peuple s'est prononcé et la majorité est là, soutenue par deux courants du centre démocratique et moderniste, et pourtant du côté de notre Nahdha on s'inquiète ! Pourquoi ! La réponse est plus que problématique ! elle affirme plutôt une appréhension de ce nouveau statut de la majorité « gouvernementale » dans un « nouveau » pays qui aspire à une démocratie réelle et effective et non de façade ou sous tutelle. Je m'explique. La plupart des Tunisiennes et des Tunisiens ont rêvé depuis la Révolution d'une démocratie à l'occidentale, libérale et sociale, pluraliste avec une séparation effective des pouvoirs et surtout la nécessaire alternance au pouvoir afin d'éviter ces régimes de monarchies présidentielles à vie. Or, le modèle qu'on le veuille ou pas, nous vient de l'Occident. A tel point que Tantawi, Khéïreddine, Mohamed Abdu, Afghani, Beyram V et tous les politistes et ulémas éclairés du monde musulman réclamaient tout au long du 19ème siècle, de prendre de l'Occident « tout ce qui ne nuit pas à la Chariaâ musulmane ». Or, la dignité, la liberté et la justice sont les fondements même du message coranique et les vecteurs incontournables de l'œuvre de notre Prophète vénéré Mohamed. C'est aussi cela la « Nahdha » qui porte le nom de tous ces mouvements d'Orient et Occident musulmans du 19ème et du 20ème siècles. L'Histoire a voulu que ces mouvements de la « Nahdha » historique aient été supplantés par les mouvements de modernisation issus de la lutte pour la libération nationale et leur ascendance dans le contrôle de l'Etat national nouveau. Aussi bien Nasser que Bourguiba, que le Baâth en Irak et en Syrie, ou Hassen II au Maroc n'ont fait que « s'approprier » le message de la « Nahdha » du 19ème siècle pour opérer une « occidentalisation » progressive mais relative de l'Egypte, du Maghreb et du croissant fertile. On a finalement adopté tous les mécanismes qui organisent la démocratie occidentale : le Parlement, la justice, l'élection, la constitution, etc… tout en conservant l'habillage identitaire arabo-musulman. Sauf qu'il y avait un hic : la mise sous tutelle de l'ensemble de ces pouvoirs par l'exécutif. Du fait, le premier Etat national moderne du monde arabe et musulman, allait être pour plus d'un demi-siècle, tout simplement : une démocratie sous tutelle. Comme le pouvoir corrompt, comme l'affirme maître Montesquieu, et comme le pouvoir absolu corrompt absolument les régimes politiques modernistes ascendants, à force de dérives totalitaires de personnalisation du pouvoir, de népotisme, et de corruption, ont abouti à ce ras-le-bol général dans le monde arabo-musulman et cette consécration tsunamique qui a enfanté « le Printemps arabe ». Mais, alors que tout le monde ou presque, du côté des élites modernistes, rêvait du Portugal ou de l'Espagne, après Franco, de la Pologne après Jaruzelski ou même de la Roumanie après Caucescau, voilà que la déferlante islamiste – élue démocratiquement - en Tunisie et en Egypte, annonce une reprise de l'ascendance du premier message de la Nahdha historique mais cette fois-ci, avec un gouvernement prenant ses racines dans la trajectoire islamique elle-même. C'est ce qui fait redouter à certains une réorientalisation de ces pays et l'abandon des valeurs occidentales. Du coup, nous sommes passés un peu de John Locke à Rousseau et du Bill of Rights anglais à la Révolution française. Au lieu d'un régime parlementaire où la minorité joue un rôle de contrôle et d'orientation positive, on est en train de glisser vers un régime d'Assemblée où la majorité reflète l'expression de la « volonté générale » de Rousseau, qui a tendance à imposer « sa » loi par cette machine à voter qu'est devenue la Constituante ! Dans mes fantasmes angoissés de ces dernières semaines j'ai « dialogué », dans mon subconscient bien sûr, avec Kheïreddine Bacha, Attouni et le Cheikh vénéré Mohamed Abdu, et ils ont été unanimes pour changer le message de la Nahdha historique qu'ils ont crée et proposer le rectificatif suivant : « oh « Nahdha » Tunisienne de 2011… prenez de la Chariaâ tout ce qui ne nuit pas à la démocratie occidentale » ! Merci Kheïreddine… Merci Cheikh Abdu ! Pourvu qu'on vous écoute !