Par Ahmed NEMLAGHI - Le nouveau gouvernement a prévu un portefeuille pour les droits de l'homme qui a été confié à Samir Dilou. Les droits de l'homme figurent en effet, parmi les préoccupations essentielles et prioritaires de l'ère post-révolutionnaire, où il importe d'œuvrer à la consolidation de la transition démocratique. Cependant certains juristes et observateurs politiques ont fait part de leur inquiétude quant à l'opportunité de l'institution d'un tel ministère. D'autres se demandent si cela ne dénote pas d'un vieux réflexe consistant à avoir la mainmise de l'Etat sur les domaines sensibles. Certes le gouvernement est tenu d'œuvrer à la préservation des droits de l'homme. Mais son action doit être contrôlée par un organe neutre. Imaginez par exemple qu'un citoyen ait été lésé dans l'un de ses droits tels que celui de la liberté d'expression ou d'opinion. Il va s'adresser au ministère pour un litige où l'un des organes publics serait concerné. Juge et partie Le ministre des droits de l'Homme, étant également porte-parole du gouvernement, il est tenu à l'obligation de réserve par rapport à cette fonction. Il se trouverait fort embarrassé et ne pourrait résoudre le litige qui lui sera soumis d'une manière objective et en tout cas équitable. C'est d'ailleurs l'avis de Me Abdessatar Ben Moussa, président de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme lors d'une interview accordée à notre journal, affirmant entre autres que ce ministère serait pour « embellir l'image du gouvernement comme le faisait celui créé par Ben Ali » Me Néjib Ben Youssef président de la section de Tunis, au sein de l'Ordre des avocats, estime pour sa part que ce ministère a un rôle important en tant que garant de la défense des droits de l'Homme. Il importe qu'il commence d'abord par réhabiliter ceux qui ont été lésés sous l'ancien régime. Cela dit, il n'a pas à monopoliser ce domaine, et doit permettre aux différents militants des droits de l'Homme d'y participer, qu'ils agissent à titre individuel, ou au sein d'une association ou d'une ONG. Me Hédi Klibi, avocat à la cour, affirme pour sa part que cette attitude est celle de tous les pays qui ont souffert de la dictature et où les droits de l'Homme posent de sérieux problèmes. C'était effectivement le cas sous Ben Ali qui a fait tout pour saboter la ligue des droits de l'Homme, afin d'avoir la main mise sur tout ce qui a trait aux droits de l'homme en général. Protection des droits de l'Homme et neutralité Bien qu'il soit un organe étatique, le ministère des droits de l'Homme peut jouer un rôle positif dans la mesure où son action est contrôlée par un organe juridictionnel, et un organe législatif. 1) L'organe législatif sera compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois, c'est-à-dire leur conformité à la constitution, ou dans la conjoncture actuelle la loi fondamentale d'organisation provisoire des pouvoirs, dénommée la petite constitution. Cet organe pourrait être saisi soit par le citoyen concerné, à l'occasion d'une loi qu'il estime contraire aux droits de l'Homme et aux objectifs de la Révolution, soit par un membre de la constituante ou même du gouvernement. 2) L'organe juridictionnel sera représenté par une cour des droits de l'Homme compétente dans les litiges y afférents, et qui agira par voie d'action ou par voie d'exception, comme c'est le cas du tribunal de Karlsruhe en Allemagne ? Par ailleurs, il importe d'encourager et de faciliter l'action des organisations et des associations de défense des droits de l'homme, qui jouent un rôle important tant auprès des justiciables qu'auprès de ce nouveau ministère. A titre d'exemple, l'actuelle LTDH, jouera le rôle de contrepoids, pour la réalisation d'un équilibre social en la matière, où toute personne lésée pourrait défendre ses droits en toute liberté. Cela n'est possible que par la réalisation d'une justice indépendante. Conjuguer les efforts du ministère des droits de l'homme avec ceux de toutes les organisations des droits de l'homme, est le meilleur moyen de réaliser cet équilibre. C'est de cette façon que se fera la rupture avec l'ancien régime et les mécanismes qui avaient pour but de violer les droits de l'Homme plutôt que de les protéger.