Ce n'est pas la Banque centrale qui décide du gel des avoirs, ce n'est pas non plus elle qui décide de la liste des biens qui doivent être confisqués. Son rôle se limiterait tout au plus à nommer des administrateurs temporaires à la tête des banques concernées. «Il s'agit là, explique un cadre à la BCT, de la préservation des intérêts publics et ceux du secteur financier et bancaire. Nous respectons les procédures légales. Cela fait partie du rôle de la BCT que de veiller sur la bonne marche du secteur bancaire». C'est le cas pour la Banque Zitouna ou la Banque de Tunisie. La BCT, qu'on accuse depuis quelque temps de compliquer la vie de la classe entrepreneuriale en maintenant la pression, en gelant les comptes et en nommant des administrateurs judiciaires à la tête des entreprises confisquées suite à la promulgation du décret décret-loi n°13 en date du 14 mars 2011 JORT n°18 du 18-03-2011, nie tout interventionnisme de sa part en la matière. «Ce sont là des rumeurs calomnieuses qui dénotent soit d'une ignorance ou tout simplement de la volonté de nuire à l'image de la BCT»! "La Banque centrale de Tunisie ne joue aucun rôle dans la proposition ou la désignation des administrateurs judiciaires". «Par définition, ces administrateurs sont nommés par la justice dans le cadre des actions intentées par diverses parties», ajoute-t-il. Les mesures de gel des comptes bancaires ont été, il est vrai, l'uvre de la BCT, «c'est une mesure préventive, la Banque centrale a demandé aux banques de procéder au gel des avoirs suite à la révolution, pour empêcher toute tentative de transferts illégaux de devises à l'étranger par les familles et proches de l'ancien président». La BCT avait même prié les banques de suspendre tout mouvement sur les comptes bancaires nationaux des membres des familles appartenant à l'ancien régime. La Confiscation des biens: une décision politique en période post révolutionnaire La mise sous séquestre de tous les biens de la famille de l'ancien président ainsi que ceux des familles proches et alliées par le décret-loi n°13 a rassuré une grande partie de la population tunisienne qui avait peur que ceux qui ont profité du système s'en sortent à bon compte. Parmi les critiques adressées au décret, son anti-conformité à la Constitution mais aussi le fait d'avoir mis dans le même sac et au même degré de responsabilités les personnes incriminées. Pour l'instant, le meilleur recours serait, d'après Me Nadia Felah, le Tribunal administratif, car on pourra attaquer le décret présidentiel sur la forme. Ceci étant, le Tribunal administratif pourrait également refuser d'entériner le recours au vu des circonstances exceptionnelles que vit le pays et qui mettent tous les organes de la justice sous haute pression. D'autres recours ont et pourraient être intentés auprès des tribunaux compétents. Nombre d'entrepreneurs concernés estiment avoir été lésés par ce décret. «Les procédures prendront du temps, estime Me Felah. «Pour réaliser la justice et l'équité, il faut tolérer la lenteur de l'appareil judiciaire». Les investigations lancées par la magistrature tunisienne concernant la provenance des fortunes des personnes citées dans le décret présidentiel qui a pris acte le 14 mars 2011, pourront seules mener à la vérité. Elles pourront définir qui a profité du système, a bénéficié de passe-droits et des largesses de l'ancien régime aux dépens de la loi et des intérêts du pays et du peuple. Si l'un -ou l'une- des concerné(e)s n'a participé à aucun acte illicite, il faut donner à la justice le temps qu'il faut pour qu'elle le ou la blanchisse des présomptions émises à son encontre. Cette action est d'ordre conservatoire, mais limitée dans le temps. Car, d'après ce même haut cadre de la BCT, depuis la mise en place du Comité de confiscation des avoirs et des biens mobiliers et immobiliers des familles Ben Ali et Trabelsi ainsi que ceux de leurs alliés et proches, le rôle de la Banque centrale se limite à siéger à la commission installée au ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières. La BCT ne procède à aucun gel d'avoirs de sa propre initiative à l'heure actuelle. N'oublions pas d'un autre côté que le ministère des Finances est autant concerné par ce décret des 111. Jalloul Ayed a, lors d'un récent conseil de ministres, soumis au gouvernement un projet pour la création d'une commission indépendante dont le rôle consistera à gérer les biens confisqués. La confiscation vise à empêcher les concernés de profiter des avantages acquis tout au long de l'ère Ben Ali et de les céder à des tiers. Toutefois, si l'on vient à prouver que les biens ont été mal acquis, il est plus que certain qu'ils seront récupérés par l'Etat, sans oublier que ceux qui ont mouillé dans des malversations punies par la loi pourraient même être jugés et emprisonnés. En attendant, la classe entrepreneuriale se sent mal, les enquêtes continuent et à mesure que l'on dénoue le fil de la toile d'araignée tissée pendant des décennies autour de l'entreprise et de ses artisans, la peur persiste. A qui le tour maintenant? Et Jusqu'à quand cela continuera-t-il? Nombre d'hommes d'affaires et même de managers se replient sur eux-mêmes, choisissant de se faire oublier, de ne pas se montrer au grand jour et de ne pas prendre des décisions importantes pour leurs entreprises. L'histoire se répète et alors qu'auparavant on se dissimulait des prédateurs, aujourd'hui on se cache toujours mais des justiciers. La plupart des Tunisiens répondront: «La spoliation du pays justifie la promulgation du décret». On pourrait également dire que la promulgation rapide de la liste des 111 cache aussi la peur de certains décideurs dans la sphère publique d'être impliqués dans les magouilles de l'ancien président, sa famille et ses alliés et amis. Pour les juristes, la liste des 111 est aussi «extra-juridictionnelle» que celle des 4400 n'est extraterrestre* Car d'après eux, elle est politique et sans aucune base juridique, ce qui l'affaiblit de point de vue application. Nous publierons bientôt l'argumentaire des avocats qui ont déposé des plaintes au Tribunal administratif à propos de la liste. *Feuilleton américain de science fiction.