Enfin le gouvernement Jébali montre qu'il «nous a compris», nous les bonnes gens des médias et de l'écriture périodiquement consommable ! Il renonce à entériner la bourde inédite dans l'histoire des démocraties même naissantes et titubantes, celle de nommer aussi les rédacteurs en chef et les directeurs de l'info dans l'audiovisuel, et appelle la corporation à choisir selon projet et à élire celui qui en présentera et défendra le meilleur. Voilà donc une bonne chose. Sauf que c'est bien là que les difficultés commencent. Un projet techniquement valable, séduisant et même crédible pour réunir les suffrages des consœurs et confrères, ce n'est jamais malaisé à construire et à rédiger correctement. De nos jours, il suffit de recourir à la simplissime opération copier-coller pour faire sien le meilleur des projets déjà bien convaincants, depuis la Gazette de Richelieu jusqu'à Mediapart. Cela d'ailleurs est un point qu'il faut surveiller, nous savons que la tentation du plagiat a toujours été un sport national. La question n'est donc pas dans la rédaction d'un projet qui se tient mais dans l'éthique qu'il doit contenir et exprimer d'une manière claire et sans ambages. Le patron d'une rédaction ou d'un service d'infos doit se souvenir des années noires qui se confondent pratiquement avec toute l'histoire de la Tunisie indépendante où la peur de l'autorité, de la raison d'Etat et souvent du caprice pur et simple du ministre de l'information détermine tout acte de l'équipe rédactionnelle et même toute intention d'aller vers l'information et de la ramener sur les colonnes, sur les ondes ou sur l'image telle qu'elle se donne dans le réel. Un système rigoureux qui enserre le journaliste dans le seul souci de son salaire à la fin du mois, de ses avancements jusqu'à qu'il soit hissé lui-même, au bout d'un parcours tranquille au poste suprême de rédacteur en chef, faute d'un plus lâche que lui. Dans mon vécu de journaliste rebelle, ayant renoncé à tout espoir de progresser dans la hiérarchie de mes pairs, je ne compte plus les péripéties qui ont fait du journalisme tunisien au cours de ces années un véritable cirque qui se joue en arrière-scène et dont le lecteur, l'auditeur ou le téléspectateur restent ignorants. Telle cette histoire, qui aurait été « irracontable » si les preuves pour l'illustrer m'avaient manquées. Un cinéaste tunisien participe à des journées à l'IMA (Institut du Monde Arabe) avec son film « Un été à la Goulette ». La journaliste a vu le film et compte « le descendre ». Avant de rédiger son texte, elle avise le rédacteur en chef de ses intentions malveillantes et totalement critiques à l'égard du film. On lui demande d'envoyer son papier qui sera bien publié. Quelques jours après, le cinéaste en question qui avait, dit-on, ses entrées au Palais obtient un droit de réponse trois ou quatre fois plus long que l'article « incriminé ». Un peu plus tard, une lettre recommandée signifie à la correspondante parisienne la rupture unilatérale de son contrat avec le journal. Il faut dire qu'à l'époque, ce canard quotidien avait pour PDG tout à fait « rédactionnel », un ancien gouverneur. Plus récemment et vers la fin de l'an I de la révolution, un responsable d'une institution audiovisuelle me charge de lui préparer un projet d'émission dont il discute la structure, la cible, le tempo et même le titre générique. L'homme est un cacique de l'information, intelligent et au fait de toutes les techniques et performances du journalisme et de la culture. Au moment où, avec un producteur j'ai voulu prendre un rendez-vous pour lui présenter le projet qu'il a lui-même commandé, son téléphone ne répond plus. Nous avons bien deviné qu'il avait des difficultés mais ce qui nous a étonnés c'est bien sa lâcheté de nous affronter et de pouvoir nous le dire en face. C'est bien là que réside la misère du journaliste tunisien et tout projet qui ne convainc pas d'une manière claire et nette que son auteur en est vraiment guéri, doit être écarté.