• Ennahda défend le régime parlementaire • CPR et Ettakatol plaident pour un régime semi-présidentiel • Les constitutionnalistes estiment que le régime semi-présidentiel correspond mieux aux réalités tunisiennes Le coup d'envoi de la rédaction de la nouvelle Constitution sera donné le mardi 15 février, date de la première réunion des six commissions constituantes mises sur pied la semaine écoulée. Le choix du régime politique qui sera inscrit dans la Constitution sera certainement l'un des points qui susciteront d'âpres discussions aussi bien au niveau des commissions que lors des séances plénières. Les tiraillements et les cafouillages qui ont marqué l'adoption de la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics, appelée également « petite Constitution», ont déjà donné un avant-goût, de la rude bataille qui s'annonce. Perçu depuis la chute du régime «présidentialiste» de Ben Ali comme un moyen de conjurer le danger d'un retour de l'absolutisme présidentiel, le régime parlementaire ne fait pas l'unanimité au sein de la classe politique. Même au sein du triumvirat majoritaire au sein de l'Assemblée constituante (Ennahdha, le Congrès pour la République et Ettakatol), la question divise. Le parti islamiste Ennahdha défend ouvertement le régime parlementaire qui constitue d'ailleurs l'un des axes majeurs de son programme politique. «En tant que groupe à la Constituante Ennahdha défendra le régime parlementaire. Nous parviendrons sûrement à un consensus sur la question ou alors nous passerons au vote», avait affirmé Hammadi Jebali, secrétaire général du parti islamiste devenu par la suite Premier ministre, au lendemain de la séance inaugurale de l'Assemblée Constituante. Après avoir réussi à imposer contre vents et marées le régime parlementaire dans la « petite constitution », qui devrait régir la vie politique nationale jusqu'à l'adoption de la grande Constitution, le parti de Rached Ghannouchi ne semble pas prêt à revoir sa copie. «Nous ne pouvons pas revenir sur les promesses faites à nos électeurs», a affirmé Ameur Laârayedh, lors d'une rencontre-débat organisée le week-end dernier par l'Association «Conscience Politique» sur le thème «De quel régime politique avons-nous besoin?». Historiquement inspiré du modèle britannique, le régime parlementaire correspond le mieux à l'idéal démocratique de la gouvernance assurée par les représentants du peuple. Il se caractérise par le rôle prédominant du Premier ministre, qui est le détenteur réel du pouvoir exécutif, le chef d'Etat n'ayant que des pouvoirs limités, voire symboliques. Dans le cadre de ce régime, le gouvernement est responsable devant le Parlement, qui dispose de prérogatives étendues, notamment en matière de contrôle. Absence de traditions démocratiques Le Forum Démocratique pour le Travail et les Libertés (FDTL/ou Ettakatol) et le Congrès pour la République (CPR) plaident, quant à eux, pour un régime semi-présidentiel. Ce régime appelé aussi régime mixte ou présidentiel remanié se caractérise par un pouvoir exécutif double : un président de la République élu au suffrage universel et détenant des pouvoirs réels et un Premier ministre qui travaille de concert avec le pouvoir législatif. Nommé par le président de la République parmi les cadres du parti ayant la majorité au sein du parlement, le Premier ministre dispose de larges prérogatives allant de la formation d'un gouvernement aux nominations dans les postes administratifs. Toutefois, c'est le président de la République qui nomme les ministres des Affaires étrangères et de la Défense. Le Chef de l'Etat dispose également du droit de dissoudre le parlement et de la possibilité de consulter le peuple par référendum. Aux yeux du CPR et d'Ettakatol , le régime semi-présidentiel est le mieux indiqué pour la Tunisie en cette étape marquée par un foisonnement de formations politiques de toutes les tendances et une grande désaffection pour le régime présidentiel. «En l'absence de traditions démocratiques, le régime semi-présidentiel est capable d'assurer la stabilité politique », précise Tarek Laâbidi, membre de l'Assemblée constituante élu sous les couleurs du CPR. De son côté, Mouldi Riahi, membre du Bureau politique et élu d'Ettakatol, souligne que son parti défendra un régime présidentiel remanié, tout en indiquant qu'«Ettakatol n'a pas d'engagement préalable avec aucun autre parti au sujet de la Constitution à l'exception des compromis qui pourraient être obtenus au sein de la Constituante». Ennahdha dans une position délicate Les deux alliés d'Ennahdha estiment, par ailleurs, qu'avec un régime parlementaire, il existe un risque que le parlement soit dominé par un seul parti qui contrôlera, de ce fait, le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif. D'où le risque de voir s'installer une dictature parlementaire. L'autre défaut du parlementarisme est connu: l'instabilité gouvernementale au cas où aucun parti ne parvient à obtenir la majorité au sein du parlement. Faute de pouvoir s'adosser à un bloc majoritaire, le parti arrivé en tête aux élections législatives risque de s'épuiser, dans ce cas de figure, en tractations avec d'autres partis qui pourraient monnayer leur soutien au prix fort. Même s'il réussit à obtenir des alliés, le parti arrivé en tête risque aussi de vivre en permanence sous la menace de défections qui le priveraient de la majorité. Ces craintes sont partagées par les spécialistes du droit constitutionnel. «En Tunisie l'inconvénient du régime parlementaire est lié au risque de la domination d'un seul parti aux élections. Dans ce cas, le gouvernement et le président de la République, en seront issus. La vie politique serait alors hypothéquée entre les mains d'un seul parti », explique le constitutionnaliste Farhat Horchani, qui recommande le régime semi-présidentiel. A défaut d'un consensus sur la nature du régime politique qui sera inscrit dans la Constitution, Ennahda (89 sièges) se trouvera dans une position délicate. D'autant plus que tous les autres partis représentés à l'assemblée Constituante défendent soit un régime présidentiel (PDP, Al-Aridha Chaâbia), soit un régime mixte (Afek, PDM, Al-Watad…etc). En cas de passage au vote, Ennahda aura besoin au moins de 20 voix supplémentaires pour dégager une majorité absolue (50 voix plus une voix) requise pour l'adoption de la Constitution article par article et de plus d'une cinquantaine de voix pour obtenir une majorité qualifiée de deux tiers nécessaire pour l'adoption de la globalité de la Loi fondamentale. Autant dire que le parti islamiste n'a pas de fortes chances d'imposer le régime parlementaire…