« Durant la guerre en Libye et la Révolution en Tunisie, les médias ont voulu nous faire croire à une invasion, « un exode biblique » venu du nord de l'Afrique. Tandis que quelques milliers de personnes partaient pour l'Europe, déjà les frontières se fermaient. Aucune mesure n'a été prise par l'Union Européenne pour secourir ou accueillir ces boats people qui se sont entassés par centaines dans des bateaux à la recherche d'une vie meilleure… la guerre aux migrants continue…», ce constat confirmé par « Boats 4 people », (*) attire l'attention des associations et des ONG ainsi que les chercheurs de tous bords. Il fait d'ailleurs, l'objet d'un colloque international qui se tient à Tunis depuis hier. Organisé par le Forum pour les Droits Economiques et Sociaux et l'Institut des Etudes Appliquées en Humanités de Tunis (Université de Tunis) avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, l'Institut Arabe des Droits de l'Homme et l'Institut Français de Tunisie, le colloque a pour thème « les migrations en Tunisie après le 14 janvier 2011 ». Il a été marqué par la participation de plusieurs chercheurs et spécialistes dans le domaine en plus de juristes. Il s'agit en fait, d'un sujet d'actualité, car nos jeunes sont toujours motivés à quitter le pays avec l'espoir de vivre dans l'Eldorado européen. Reste qu'ils ne sont plus les bienvenus dans le vieux contient. Des lois répressives et fermes ont été promulguées par la communauté européenne pour bloquer l'arrivée des émigrés sur cette terre. Ils se retrouvent ainsi obligés d'y débarquer clandestinement pour y vivre illégalement. Expliquant les paradoxes de la clandestinité : entre reconnaissance, invisibilité et utopie, Piero Galloro, maître assistant en sociologie à l'Université de Metz a présenté les définitions des termes « clandestinité » et illégalité et plus particulièrement « illégal ». Il s'agit en fait « d'être contraire à la disposition de la loi, pas celle universelle, mais spécifique qui est déterminée par l'Etat », selon l'universitaire qui associe par ailleurs, un autre terme au mot illégal. C'est l'exilé. Etre illégal, migrant et exilé, trois mots qui s'associent et qui démontrent que cet individu est reconnu dans l'espace où il vit. Par contre le clandestin n'est pas en relation avec l'espace parce qu'il en est dehors. « Il est hors du cadre légal, il n'est pas visible », explique M. Galloro. Il s'inspire de Hanna Arendt qui parle de cette approche. Le clandestin est ainsi celui qui appartient à « l'idée de nulle part ». « Il n'est pas visible, il ne peut pas agir », explique-t-il. Et les migrants ? Le sociologue a eu recours aux explications de Pierre Bourdieu. Dès lors, « le migrant est celui qui bouge. Alors que le clandestin, est un non être social parce qu'il n'est pas citoyen. Il n'est ni vraiment là ni vraiment ailleurs », d'où, « l'utopie ». Mais quel est regard social qu'on porte sur lui ? « Le clandestin est un marginal, il est exclu », répond le spécialiste tout en précisant que « sa visibilité devient un phénomène social du moment où on le regarde et on ne le voit pas ». «La catégorisation du clandestin enlève l'humanité », d'après M. Galloro. Il précise par ailleurs que rien n'est clair sur le nombre de clandestins qui débarquent en Europe. « Les données sont vagues », selon le sociologue. Toujours dans le même cadre, Béatrice Pini, de l'Université de Milan a donné un aperçu sur l'immigration clandestine tunisienne en Italie après la Révolution. Elle s'est limitée à une simple présentation de données et de statistiques sans pour autant parler du vécu des clandestins tunisiens dans les centres de détention ou dans la rue. Nul ne peut nier que ces derniers vivent dans une situation difficile. Ils sont invisibles, incapables d'agir. Ils vivent dans nulle part. Sana FARHAT
(*) Boats4 People est une coordination internationale, formée dans le but de défendre et de faire respecter les droits des migrants-e-s en mer. Elle regroupe plusieurs organisations.