De père architecte et horticulteur paysagiste Azzouz Bahri, Hayet Chebbi s'est imprégnée de verdure, de couleurs et de lumière du fait qu'elle a passé toute sa jeunesse au milieu des fleurs. Elle a choisi l'abstraction pour exprimer ses idées d'un monde invisible marqué par l'infiniment petit. Si la mort l'obsède, sa peinture flatte pourtant la vie avec une énergie débordante. Actuellement, elle expose ses œuvres à la galerie Astrolabe au Bardo. Entretien: Le Temps : De nombreuses artistes plasticiennes de votre génération préfèrent la figuration à l'abstraction. Qu'est-ce qui vous a conduit à vous orienter vers l'abstraction ? Hayet Chebbi : C'est un appel intérieur et une émotion fondamentale devant la vie. Je considère que toute œuvre est le reflet d'une angoisse, d'un malaise, des pressions de la société, de l'ingratitude, de l'égoïsme, des guerres etc. Lorsqu'on ne se sent pas bien dans sa peau, on essaie de compenser, de se satisfaire par la création pour vaincre entre autres l'idée de la mort. Pourquoi cette idée macabre de la mort alors que votre peinture est pleine de vie et est-ce en transcendant la réalité que vous arrivez à la dépasser ?
Nous sommes suspendus entre vaincre le chaos des apparences ou bien donner un sens à la vie pour nier le chaos des apparences en transcendant évidemment la réalité. La démarche que j'ai entreprise est devenue un antidote contre la mort. C'est de cette façon que je m'épanouis. J'ai penché la balance dans le bon sens, ce qui me permet de vivre au présent.
D'où vous vient l'inspiration et quel est l'univers pictural dont vous êtes le plus influencée?
Je suis influencée par le monde infiniment petit, celui qu'on ne voit pas à l'œil nu. C'est l'inconscient qui surgit des images vues et qui ressortent spontanément. C'est un univers labyrinthique dans lequel je cherche des solutions en se servant de détours. Car bien que la science ait évolué, il y a encore des zones qui restent inconnues. J'essaie de voir le monde dans sa globalité. Au fait, c'est la théorie du chaos et l'effet papillon, le battement d'aile du papillon qui peut créer un Tsunami et entrainer des effets incommensurables qui est ma source d'inspiration.
Les couleurs que vous utilisez sont très expressives. Elles créent une polychromie particulière.
A part de créer une perspective, les couleurs me sont inspirées du contexte floral qui a cultivé mon regard et m'a nourrie depuis mon enfance. Je vivais avec ma famille dans une pépinière à Mornag. D'autre part, mon père était paysagiste et m'a fait aimer et apprendre le monde floral avec sa complexité et en même temps sa beauté. La couleur rend visible ce qui est invisible.
Quelle approche avez-vous de l'art ?
L'art, c'est être. C'est jouer avec les formes et les couleurs. L'art est la coïncidence entre l'esthétique et la métaphysique. Il révèle une vérité pour moi-même au niveau de l'esthétique car c'est le plaisir qui aboutit à une perception, à une analyse d'un sentiment par rapport au temps, aux idées… indépendamment de sa fonctionnalité.
Il y a quelque chose de métaphysique dans cette approche.
Le plaisir esthétique désintéressé conduit à la métaphysique qui est l'émotion ressentie devant la vie. C'est de la sorte que l'homme se défend contre son destin autrement dit la mort. L'art atteint le niveau de la religion. L'artiste essaie de créer un monde à son échelle qu'il peut gouverner. A l'instar de la religion, l'art est atteint de métamorphose d'où sa fragilité lorsqu'il meurt. L'art implique l'expression, la fluidité, la vitalité, l'inconnu, l'individuel, l'intérieur etc. Propos recueillis par Inès Ben Youssef