Les cimaises de la galerie Aïn abrite depuis fin février une exposition collective en hommage à deux maîtres qui ont marqué la scène picturale en Tunisie par leurs travaux remarquables pendant plusieurs années, à savoir M'hamed Mtimet et Habib Bouabana. Disparu en février 2011, M'hamed M'timet fut l'un des membres fondateurs, en 1969, de l'Union nationale des plasticiens tunisiens et du groupe 70, aux côtés de Abdelmajid El Bekri et Sadok Guemach. Il fut distingué par ses œuvres d'aquarelle et de tapisserie. Habib Bouabana, appelé le peintre poète, est décédé en 2003. Les artistes participant à cette exposition sont, Bady Chouchène, Mokhtar Hnène et Hechmi Marzouk avec ses splendides sculptures sur bois. Il y a également les belles tapisseries de Mohamed Njah, les peintures à huile de Habib Saidi et les fameuses aquarelles de Victor Sarfati, cet artiste qui passe pour l'un des grands aquarellistes en Tunisie. « J'ai voulu exposer les œuvres de la première promotion des artistes issus de l'Ecole des Beaux-arts de Tunis, nous a confié Mohamed Ayeb, maître de céans ; ces travaux représentent deux décennies de peinture tunisienne, soit entre les années 60 et 80. » L'exposition comporte plus d'une quarantaine d'œuvres autour de la peinture, de la sculpture et de la tapisserie. Ici, nous voyons les tableaux à huile de Mokhtar Hnène qui dénotent d'un certain réalisme impressionnant rappelant le style adopté par les artistes des années 60, très remarquable dans « Femme en safsari », « La porte de Sidi Mehrez » et « Sidi Jbali ». Là, ce sont les aquarelles de Victor Sarfati, en formats réduits et aux couleurs locales, qui représentent toute la tradition et toute la nostalgie du passé : « Bédouine », « Omi Khédija », « La grand-mère », « Fête » où l'aquarelle semble couler avec fluidité et transparence, traduisant les tendres sentiments de l'artiste. « L'aquarelle est une technique très rigoureuse, nous a expliqué Victor Sarfati, c'est pourquoi les maîtres en cet art sont rares. Un bon aquarelliste peut être un bon peintre, mais pas l'inverse ! En aquarelle, le premier jet doit être le bon, si dans une zone de couleur vous avez trop foncé, vous ne pouvez plus retrancher, c'est comme le sel dans la soupe, on peut en rajouter mais pas en enlever ! » On se dirige vers les œuvres sculpturales de Hechmi Marzouk, lui aussi de la génération des années 60-80, réalisateur de la statue de Habib Bourguiba de la Goulette : « Un homme et une femme », « Femme enceinte », « Femme drapée » et « Femmes à bicyclette », quatre sculptures sur bois représentant le corps féminin. On se retrouve ensuite devant les œuvres de Habib Saidi et là on est dans la tendance des années 70 qui donne au réalisme des années précédentes plus de gaîté et de vivacité au niveau des couleurs et des lumières émanant des tableaux grâce à une nouvelle touche d'énergie et de mouvement introduite par l'artiste. On peut le saisir dans ses tableaux intitulés respectivement : « Jeux d'enfants », « Souvenirs d'enfance », « Adolescents » et « Deux amies » qui sentent la modernité, une nouvelle approche picturale adoptée par tous les peintres de sa génération, Cheltout, Chakroun, Shili, Ben Mahmoud… D'ailleurs, les tableaux de feu Bouabana « Femme en promenade », « Nature morte », « Femme couchée » et « Paysan » révèlent cette même tendance de modernité qui rompt avec les sentiers battus en introduisant de nouveaux modes d'expression artistique plus émancipés. On arrive aux années 80 avec Bady Chouchène qui participe avec ses huit tableaux à huile et aquarelle et qui semble enchaîner avec la mode des années 70 où l'on peut remarquer plus de liberté, de dynamique et de gestualité à travers les lignes, les formes et les couleurs. Devant de telles oeuvres qui allient patrimoine et modernité, il ne suffit pas de voir, mais on a l'impression d'entendre des sons et des rythmes qui ont l'air de surgir de la toile. Le visiteur ne peut pas repartir sans contempler les travaux de M'hamed Mtimet, qui consistent en des tapisseries et des tableaux peints en aquarelles dont les thèmes et les techniques font songer au Sud tunisien, sa région natale, comme dans ce chef-d'œuvre « Arbre au désert » qui rappelle la nature désertique, l'authenticité, et le sentiment d'appartenance : cet arbre qui pousse dans le désert, à moitié feuillu, en dit long sur la résistance contre cette nature hostile. Il y a également les trois ouvrages de tapisseries de Mohamed Njah « Espaces liberté », « Paroles de nuit », « Mes souvenirs de Gafsa » où la fonction artistique le remporte sur la fonction décorative et où s'harmonisent nuances de couleurs et motifs simples et complexes.