«La Révolution Tunisienne est l'œuvre de populations majoritairement non religieuses» Une conférence a été donnée samedi 17 mars à 17 h au Palais Présidentiel de Carthage autour du « printemps arabe » par le Professeur Olivier Roy devant une assistance assez nombreuse. Le Président Moncef Marzouki était présent à cette conférence en tant qu'intellectuel; il présenta brièvement le conférencier en souhaitant la bienvenue à tous les assistants. Cette conférence inaugure une suite d'autres rencontres que verra la salle des conférences du palais présidentiel qui sera désormais ouverte aux penseurs, chercheurs et intellectuels, a-t-il annoncé. L'invité de la Tunisie, Olivier Roy, est politologue français, spécialiste de l'Islam et professeur à l'Institut universitaire européen de Florence, où il dirige le Programme méditerranéen, il essaie dans cette conférence de décortiquer la question du « printemps arabe » en jetant la lumière sur les partis religieux et leur rôle dans la phase post-révolutionnaire. Le printemps arabe prend des allures différentes dans chacun des pays de la région. Ces révoltes populaires qui se sont déclenchées à partir de la Tunisie dès décembre 2010 ont plongé toute la région du monde arabe dans l'incertitude en mettant en jeu la stabilité des régimes, si bien que les véritables enjeux de ce printemps arabe semblent s'occulter et se compliquer. Les révolutions faites essentiellement par les jeunes ont vu surgir un peu partout des mouvements islamistes prohibés et persécutés durant des décennies par les régimes déchus. Mais pour Olivier Roy, ces islamistes ont toujours existé sous les différents régimes dictatoriaux et ils ne font que renaître de leurs cendres. Les régimes occidentaux avaient soutenu les dictateurs sous prétexte que ces derniers les protégeaient contre le terrorisme et l'émigration clandestine ; en Tunisie comme en Egypte, on ne parlait pas avec les opposants et c'était une erreur, ce qui explique que l'Occident ait été surpris par ces révolutions. Pr. Olivier Roy a fait remarquer que la Révolution en Tunisie ainsi que dans les autres pays arabes a été l'œuvre de populations majoritairement non religieuses dont les doléances étaient essentiellement sociales et économiques qui n'avaient rien à voir avec les revendications religieuses, or ce sont les mouvements religieux qui ont remporté les premières élections organisées dans ces mêmes pays, notamment la Tunisie et l'Egypte. Une situation qui tenait du paradoxe, a-t-il fait remarquer. Le conférencier explique pourquoi un tel succès des mouvements islamiques a eu lieu depuis le « Printemps arabe ». D'abord, il est logique que dans ces pays de culture musulmane la population choisisse des partis religieux. Ensuite, ce succès est assimilé par Olivier Roy au raz-de-marée gaulliste qui avait eu lieu en France de De Gaulle, après le mouvement de mai 68, lors des législatives de juin en faisant même un parallèle avec la droite chrétienne américaine d'il y a quelques décennies. D'autre part, le conférencier fait la distinction entre laïcité et démocratie, rappelant qu'il y a dans ces pays arabo-musulmans des laïcs qui ne sont pas démocrates, d'autant plus que la laïcité de l'Etat « n'est pas une condition nécessaire à la sécularisation de la société.» Que les mouvements islamistes reviennent sur la scène politique est tout à fait normale pour le conférencier qui soutient que ces mouvements, à part les Salafis et les mouvements extrémistes radicaux, appellent à l'application des valeurs authentiques et aux principes identitaires, sans pour autant prétendre à l'établissement d'une société purement islamiste. Mais ces mouvements veulent que l'Islam reste au cœur d'une société civile. Pour ce faire, ils jouent le jeu des élections, de la constitution, du parlement et des coalitions gouvernementales. Dans quelles mesures ces mouvements islamiques qui ont remporté les élections (en Tunisie et en Egypte) vont-il coexister avec les autres tendances politiques dans ce nouveau contexte démocratique ? Aujourd'hui que les mouvements islamistes sont là, qu'adviendra t-il de la démocratie et de ses valeurs prônées lors du « Printemps arabe », à l'heure où certains de ces mouvements rejettent en bloc la « démocratie », considérée comme une notion parvenue de l'Occident, et prêchent le retour au « Califat » et à la « Chari'â », écartant avec force l'idée de la séparation entre la religion et la politique ?